Médicaments utilisés autrement qu’indiqué dans la notice : comment mieux encadrer ?
Il est fréquent que des médicaments soient utilisés pour d’autres indications que celles annoncées dans la notice, par exemple pour une autre maladie, à un autre dosage, ou pour d’autres types de patients. Il s’agit donc d’usages pour lesquels le médicament n’a pas obtenu d’autorisation ; on appelle cela l’utilisation off-label. Il n’existe pas de chiffres précis sur l’importance de cette pratique en Belgique, mais on estime qu’elle concerne jusque 80% des médicaments prescrits en pédiatrie, et au moins la moitié de ceux prescrits en oncologie. L’utilisation off-label fait partie de la liberté thérapeutique du médecin. Mais celui-ci doit en soupeser les bénéfices et les risques, et en informer son patient, car il n’y a en général pas de garanties que cet usage soit efficace et sans risques. Le Centre fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE) a examiné les mesures que notre pays pourrait mettre en place pour que cet usage soit mieux encadré. Il propose une procédure par étapes qui pourrait être suivie par les autorités de manière à rassembler dès que possible des preuves scientifiques fiables au sujet des usages off-label, avec ou sans la collaboration avec les producteurs.
L’accès au marché est soumis à autorisation
Pour pouvoir mettre un médicament sur le marché, son producteur doit d’abord demander une autorisation aux autorités compétentes, que ce soit au niveau européen (Agence européenne du Médicament – EMA) ou au niveau belge (Agence fédérale des Médicaments et des produits de Santé – AFMPS).
Les procédures sont très strictes : les producteurs doivent démontrer que leur produit est de bonne qualité, sûr et efficace. Le dossier doit également mentionner les caractéristiques du médicament : les affections pour lesquelles il doit être utilisé et les patients qui peuvent le recevoir (= les indications), sa composition et sa forme (comprimés, ..), son mode d’administration, son dosage, etc.
Si l’autorisation de mise sur le marché est accordée, elle ne sera valable que pour l’indication demandée. Les caractéristiques du produit sont alors mentionnées dans la notice (label en anglais) : par exemple « pour les patients de plus de 18 ans atteints d’un cancer colorectal métastasé ».
Usage off-label : le consentement éclairé du patient est requis
Tout médecin est libre de prescrire un médicament pour des indications autres que celles qui sont autorisées s’il est convaincu que c’est la meilleure solution pour son patient. Cela peut être le cas si le traitement classique ne donne pas de résultats, ou s’il n’existe aucun médicament autorisé pour le problème dont souffre son patient (ce qui est souvent le cas en pédiatrie), ou encore si le médicament en question est équivalent à une alternative (autorisée) beaucoup plus chère. On appelle cela l’usage off-label.
En vertu de leur liberté thérapeutique, les médecins peuvent donc prescrire off-label, mais ils doivent bien en soupeser les bénéfices et les risques, si possible sur base d’éléments scientifiques. Ils doivent également informer leur patient à l’avance qu’il s’agit d’un usage off-label et lui préciser quels sont les risques liés à cet usage.
Surtout chez les enfants, les femmes enceintes, en oncologie et en soins palliatifs
Étant donné que l’enregistrement de l’usage off-label n’est pas obligatoire, on ne connaît pas son étendue en Belgique. On estime cependant que la pratique est fort répandue, surtout chez les enfants, les femmes enceintes, et dans des domaines tels que l’oncologie, l’obstétrique, les maladies infectieuses (HIV/SIDA) et les soins palliatifs. Cela pourrait concerner jusque 80% des médicaments prescrits en pédiatrie, et au moins la moitié de ceux prescrits en oncologie.
Un exemple d’usage off-label : le Viagra
Chacun connaît l’indication du Viagra pour les troubles de l’érection. Mais la même molécule est aussi autorisée sous le nom de Revatio pour le traitement d’une maladie rare des artères pulmonaires. Or l’assurance-maladie ne rembourse le Revatio (beaucoup plus cher que le Viagra) que sous certaines conditions ; quand celles-ci ne sont pas réunies, il arrive donc que l’on prescrive le Viagra off-label pour que le traitement ne revienne pas trop cher au patient.
Les preuves de sécurité et d’efficacité sont souvent manquantes
Contrairement à ce qui se passe pour les indications autorisées, pour lesquelles de nombreuses recherches préliminaires sont menées, il n’existe souvent que très peu de preuves de sécurité et d’efficacité pour les usages off-label. Les informations dont on dispose proviennent souvent de cas individuels, ou de l’expérience personnelle de certains médecins, mais rarement d’études cliniques fiables. Il est donc possible que le patient soit exposé à des risques pour sa santé, et que la responsabilité du médecin soit mise en cause. Mais d’autre part, il s’agit parfois de la seule manière possible de traiter le patient.
Demander une nouvelle autorisation n’intéresse souvent pas les producteurs
Idéalement, les producteurs devraient demander une nouvelle autorisation lorsqu’un de leurs produits est utilisé off-label. Bien qu’il existe des mesures au niveau européen pour encourager de telles demandes, les producteurs ne sont très souvent pas intéressés. En effet, cela suppose qu’ils investissent dans de nouvelles études cliniques, alors qu’ils perçoivent déjà les revenus de l’usage off-label. De plus, il s’agit souvent d’utilisations pour des indications rares ou chez des enfants, ce qui ne représente qu’un marché limité, et il n’est donc pas certain qu’ils récupéreront leur investissement. Il se peut aussi que de nouvelles études mettent en lumière des problèmes de sécurité encore inconnus, ou une efficacité moindre que prévu, ce qui pourrait faire chuter les ventes du produit. Enfin, les législations actuelles de protection du marché favorisent surtout le développement de nouveaux produits, et pas l’usage d’anciens médicaments pour de nouvelles indications.
Une procédure par étapes pour un usage off-label sûr et efficace
Le KCE a examiné quelles mesures pouvaient être prises dans notre pays pour mieux encadrer l’usage off-label, avec pour buts principaux la protection de la santé des patients belges et l’efficience de notre système de santé. Mais il faut pour cela tenir compte des législations et de la jurisprudence européennes, qui veillent à l’équilibre entre la protection de la santé et le soutien à l’investissement en recherche et développement.
Le KCE propose donc une procédure par étapes qui peut être suivie par les autorités de santé. Le but est que des preuves scientifiques fiables soient rassemblées aussi vite que possible au sujet des usages off-label, que ce soit en collaboration avec les producteurs ou non. En cas de preuves négatives, l’usage off-label serait interdit. En cas de preuves positives, il serait possible de mettre en place des mesures (financières) pour que le produit puisse être utilisé off-label en toute sécurité, efficacité et efficience. Bref, une approche plus tranchée que le flou qui règne actuellement.