Consommation problématique d’alcool: trop peu de soutien, trop tard. Pistes pour une approche coordonnée
Près de 10% des adultes en Belgique consomment l’alcool d’une manière que l’on qualifie de problématique. Mais parmi eux, seulement un sur douze cherche ou reçoit de l’aide, et encore, souvent après plusieurs années. À la demande du SPF Santé publique, le Centre fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE) a analysé les raisons de cet écart et recommande plusieurs mesures pour faciliter la demande d’aide.
Des raisons à la difficulté à trouver de l’aide ont été identifiées à différents niveaux : la société dans son ensemble, l’organisation/les prestataires de soins, et la personne concernée elle-même. Comme ces facteurs interagissent les uns avec les autres, il serait plus efficace d’agir sur ces trois niveaux en même temps. Les mesures préconisées comprennent entre autres un « Plan alcool » extensif, une meilleure formation des prestataires de soins, et davantage d’information du public au sujet de la consommation (problématique) d’alcool.
10% des Belges ont une consommation d’alcool problématique
La période des fêtes de fin d’année est propice aux commentaires des médias sur la consommation d’alcool, et on sait qu’elle est élevée chez nous. Selon l’enquête de santé de l’Institut scientifique de Santé publique (ISP), c’est rien moins qu’un Belge sur dix (de plus de 15 ans) qui consomme de l’alcool de manière problématique.
Mais qu’entend-on par consommation problématique ? Les définitions sont variables, mais retenons celle de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) qui décrète qu’au-delà de 14 verres standard par semaine pour les femmes et 21 pour les hommes, on est dans une consommation excessive. Il est également important de préciser qu’avec une telle consommation, on n’est pas (encore) nécessairement dans la dépendance, mais dans une situation à risques accrus de problèmes de santé, d’accidents, de conflits relationnels ou de soucis professionnels. Sans oublier le prix social, économique et humain de la consommation problématique d’alcool.
Une personne sur douze cherche ou reçoit de l’aide, en moyenne après 18 ans
Il apparaît que seulement une personne sur douze ayant une consommation problématique d’alcool cherche à se faire aider par un professionnel – et cela après avoir attendu en moyenne 18 ans. Beaucoup tentent d’abord de résoudre leur problème seuls, et y réussissent parfois. Les autres ne cherchent ou ne trouvent le chemin de l’aide que fort tard, voire jamais, ou ne se voient pas proposer une aide appropriée.
Pourtant, certaines interventions ont déjà largement prouvé leur utilité, comme l’entretien motivationnel, l’accompagnement psychologique, les groupes d’entraide et certains traitements médicamenteux. Le but ultime n’est pas nécessairement d’aboutir à un arrêt total de l’alcool ; il suffit souvent que la personne diminue sa consommation.
Agir à 3 niveaux: la société, l’organisation/les prestataires de soins, les personnes concernées elles-mêmes et leur entourage
Il existe plusieurs explications au fait que la personne qui a une consommation problématique ne demande, ne trouve ou ne reçoit pas d’aide. Différents facteurs interviennent et interagissent : au niveau de la société dans son ensemble, de l’organisation/des prestataires de soins, et de la personne concernée elle-même.
Au niveau de la société, on soulignera à quel point la consommation d’alcool fait partie de notre vie quotidienne. Par conséquent, une consommation problématique n’est souvent reconnue comme telle que très tard, voire pas du tout. En revanche, une fois que le problème devient gênant pour un individu et/ou son entourage, notre tolérance diminue : nous avons alors tendance à penser qu’il est seul responsable et qu’il n’a qu’à s’en sortir tout seul. Ce qui suscite chez l’intéressé de la honte et un déni qui peut se prolonger longtemps.
Pour changer cette mentalité ambiguë, à la fois indulgente et stigmatisante, c’est la société dans son ensemble qui doit évoluer. Toutes les parties concernées – décideurs politiques, organisations et prestataires de soins, associations de patients – doivent élaborer ensemble un « Plan alcool ». Celui-ci devrait notamment comporter des campagnes d’information ainsi qu’une réglementation plus stricte de la publicité et de la vente d’alcool. Un tel « Plan alcool » avait déjà été proposé, il y a quelques années, par la précédente ministre de la santé publique, mais il n’avait pas reçu le soutien politique nécessaire. Un nouveau plan serait actuellement en cours de développement ; les enseignements de la présente étude pourront certainement y apporter leur contribution.
Toute personne présentant une consommation problématique doit se voir proposer une prise en charge appropriée. Or beaucoup de prestataires de soins sont d’avis qu’il est difficile de reconnaître ce problème, de l’aborder avec le patient et de proposer l’aide nécessaire. C’est pour cette raison que la formation des professionnels de la santé doit y accorder davantage d’intérêt et veiller à développer les compétences communicationnelles nécessaires. La consommation problématique d’alcool doit être comprise et abordée comme un problème de santé qu’il est possible de soigner, et il est souhaitable que les prestataires de soins adoptent avec ces patients une attitude empathique et sans jugement. On sait par ailleurs que répéter régulièrement la question de la consommation d’alcool et proposer une intervention brève quand c’est nécessaire sont des démarches qui ont prouvé leur efficacité pour faire baisser la consommation. C’est le médecin généraliste qui est l’intervenant le plus logique mais il y en a d’autres, comme le gynécologue qui peut s’y intéresser à l’occasion d’une grossesse, par exemple.
Certaines améliorations au niveau de l’organisation des soins peuvent également jouer un rôle facilitateur pour augmenter le recours à l’aide. Il faut notamment élargir l’offre tant en première ligne (médecins généralistes, psychologues, etc.) que dans les hôpitaux généraux et psychiatriques, avec un financement correct et une bonne collaboration entre les différents niveaux de soins. De cette manière, les intervenants enverront plus facilement les patients vers une aide spécialisée et les temps d’attente seront plus courts.
Enfin, on peut agir au niveau des personnes ayant une consommation problématique elles-mêmes. Elles ont souvent tendance à nier le problème, à éprouver de la honte, à penser qu’elles n’ont pas le temps ou l’argent pour un traitement, ou encore à se convaincre qu’elles peuvent s’en tirer toutes seules. Souvent aussi, ces personnes doutent de l’efficacité des traitements et craignent de perdre leurs contacts sociaux si elles arrêtent ou diminuent leur consommation. Pour cette raison, il faut faire largement savoir à qui l’on peut s’adresser pour poser des questions et demander de l’aide en ce qui concerne la consommation d’alcool. Les sites web qui proposent de l’information et des dépistages en ligne doivent être soutenus, et il faut mieux faire connaître les groupes d’entraide.
La famille et l’entourage proche peuvent jouer un rôle crucial auprès des personnes ayant une consommation d’alcool problématique. Ils doivent recevoir le soutien nécessaire, notamment sous forme d’informations au sujet des prises en charges possibles et du rôle qu’ils peuvent y jouer, au sujet des possibilités de thérapie familiale, etc.
Une approche synergique est cruciale
Étant donné que les facteurs responsables du recours tardif à l’aide, ou de l’absence de recours, sont étroitement imbriqués, l’approche du problème doit se faire selon une stratégie globale et en combinant des mesures à différents niveaux. Ce qui ne doit pas empêcher chacun, à son propre niveau, de se mettre sans tarder à l’ouvrage.