Vacciner les garçons contre le papillomavirus ?
Le vaccin contre le papillomavirus humain (HPV) responsable du cancer du col de l’utérus est introduit depuis une petite dizaine d’années dans notre pays, mais seules les filles en bénéficient. Or il est désormais établi que ce même virus est également impliqué dans d’autres cancers, dont celui de la gorge. Les recommandations ont donc été revues et, dans la plupart des pays occidentaux comme chez nous, il est désormais conseillé de vacciner les garçons aussi. La question de l’impact clinique et économique d’une telle extension des programmes de vaccination a donc été posée au Centre fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE), qui publie aujourd’hui une étude favorable.
Chaque année, on compte dans notre pays plus de 1000 nouveaux cas de cancer imputables au papillomavirus humain (HPV) : des cancers du col de l’utérus, ce qui est bien connu, mais également des cancers plus rares comme ceux du vagin, de la vulve, du pénis et de l’anus. Les trois derniers sont en augmentation dans notre pays. Ces dernières décennies, on a aussi découvert que le HPV est impliqué dans un nombre croissant de cancers de la gorge (oro-pharynx). En tout, un quart de tous ces cancers se manifestent chez des hommes. Le virus HPV est également responsable des verrues ano-génitales (condylomes), qui touchent entre 13 et 20 000 personnes par an, hommes et femmes.
Des recommandations remises à jour
Des programmes de vaccination des jeunes filles entre 12 et 14 ans sont organisés depuis 2010 en Communauté flamande et depuis 2011 en Fédération Wallonie-Bruxelles. Ces programmes ont été mis en place suite à une recommandation du Conseil supérieur de la santé émise en 2007, époque à laquelle on ne se souciait encore que du seul cancer du col de l’utérus. Cette vaccination rencontre beaucoup de succès en Flandre, où la couverture vaccinale atteint 91% (2016) mais moins en Fédération Wallonie-Bruxelles, où seules 36 à 50% des jeunes filles sont vaccinées (2017).
En 2017, le Conseil supérieur de la santé a remis à jour ses recommandations, en conseillant désormais de vacciner les filles et les garçons entre 9 et 14 ans. La plupart des autres pays occidentaux suivent la même tendance. La question de l’impact clinique et économique d’une telle extension des programmes de vaccination s’est alors posée, et c’est au Centre fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE) qu’il a été demandé de l’évaluer (rapport coût-efficacité).
Un rapport coût-efficacité favorable par rapport à la situation actuelle
Globalement, il ressort de cette étude que les trois vaccins disponibles sur le marché (Cervarix®, Gardasil® et Gardasil 9®) sont efficaces pour prévenir la plupart des lésions précancéreuses liées au HPV. On ne dispose toutefois pas de chiffres fiables sur la protection contre les cancers eux-mêmes, car le délai d’apparition d’un cancer est d’au moins 20 ans après l’infection par le virus et on ne dispose pas encore d’un tel recul. Par ailleurs, la sécurité des trois vaccins semble établie.
La revue de la littérature médico-économique suggère que, pour prévenir l’ensemble des cancers évoqués plus haut, l’extension de la vaccination des filles seules aux filles et aux garçons présenterait un rapport coût-efficacité favorable, quel que soit le vaccin utilisé, et que ce rapport serait d’autant plus favorable que la couverture initiale des filles par le vaccin HPV est faible (comme en Fédération Wallonie-Bruxelles).
Aussi une question d’équité entre garçons et filles
Le KCE souligne que, même s’il ne lui était demandé qu’une évaluation médico-économique, la décision d’étendre la vaccination aux jeunes garçons doit aussi tenir compte d’autres arguments. En premier lieu, une question d’équité entre garçons et filles : en effet, le vaccin uniquement offert aux jeunes filles désavantage les jeunes garçons puisque l’augmentation des cancers liés au HPV chez les hommes est aujourd’hui une réalité. La vaccination des jeunes filles offre également une certaine protection indirecte à leurs futurs partenaires sexuels puisqu’elles transmettront moins de virus. Toutefois, les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) ne bénéficieront pas de cette protection indirecte. Vacciner tous les garçons serait ainsi une mesure de non-stigmatisation du comportement sexuel puisque cela permettrait de protéger tous les futurs HSH avant le début de leur activité sexuelle.
Des réticences préoccupantes en Wallonie et à Bruxelles
Il faut également tenir compte des importantes questions d’organisation qu’un tel élargissement de la vaccination susciterait au niveau des écoles et des services de santé. La question de l'acceptabilité est également préoccupante, car la vaccination actuelle des filles est déjà confrontée à de nombreuses réticences, en particulier en Wallonie où le taux de couverture est faible et les lobbies anti-vaccins plus actifs.
La revue de la littérature du KCE montre également que, dans des régions où le taux de couverture des filles est faible, comme en Fédération Wallonie-Bruxelles, il est encore plus intéressant, d’un point de vue strictement économique, d’augmenter la couverture des filles seules que d'étendre la vaccination aux garçons, mais cette approche ne répondrait pas à la question de l’équité entre les sexes.
Un rapport déjà suivi d’effet
Ce rapport du KCE était très attendu parce que les agences de santé des deux communautés devaient renouveler leurs appels d’offres pour l’achat de vaccins à la fin de l’année 2018. C’est pourquoi un rapport provisoire avec les principaux résultats leur avait déjà été envoyé à la mi-octobre. Depuis lors, les deux communautés ont pris la décision d’étendre la vaccination contre le HPV aux garçons à partir de la rentrée de septembre 2019.
Quelques informations sur le papillomavirus humain Le papillomavirus humain (Human Papillomavirus - HPV) est un virus très répandu qui se transmet par voie sexuelle et orale ; on estime que plus de 80% des personnes sexuellement actives seront infectées par ce virus à un moment ou l’autre de leur vie. Il en existe plus de 100 types différents, mais seulement une douzaine d’entre eux – et plus particulièrement les types viraux 16 et 18 – peuvent être à l’origine de cancers. C’est essentiellement ces types dits « à haut risque oncogène » que ciblent les vaccins. Les infections par le HPV passent souvent tout à fait inaperçues et disparaissent spontanément en quelques mois ou années. Mais dans une certaine proportion des cas (que l’on estime à environ 5-15%), le virus reste présent pendant plus longtemps (infection persistante). Une infection persistante par des types de HPV à haut risque peut entraîner des lésions précancéreuses à l’endroit de l'infection. À leur tour, la plupart de ces lésions précancéreuses guérissent le plus souvent spontanément en quelques années, mais certaines évoluent vers un cancer. La période qui s’écoule entre le moment de l'infection et le développement d’un cancer est généralement d’au moins 20 ans. Jusqu’à présent, les cancers liés au virus HPV ont surtout concerné les femmes, mais les hommes sont de plus en plus souvent touchés également, surtout les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH). Chez les femmes, il est commun de pratiquer un dépistage du cancer du col de l’utérus à partir de l’âge de 25-30 ans. Bien effectué, ce dépistage est très efficace mais, en Belgique, il ne touche pas suffisamment de femmes. Il est important de faire savoir que ce dépistage reste utile même chez les femmes qui sont vaccinées, car les vaccins n’offrent pas une protection totale |