19 oct 2004 13:15

Discours-Forum-20041019

Discours du Premier Ministre Guy Verhofstadt a l'occasion de l'institution du Forum. Le Senat, le 19 octobre 2004.

Discours du Premier Ministre Guy Verhofstadt a l'occasion de l'institution du Forum. Le Senat, le 19 octobre 2004.

Madame la Présidente, Chers collègues, La Belgique est parfois désignée avec condescendance comme étant le pays par excellence des réformes institutionnelles. Mais il est plus important de constater que les réformes de l'Etat belge se sont déroulées pacifiquement. Contrairement à tant d'autres pays, même au sein de l'Union européenne, la Belgique n'a pas été marquée par une guerre civile et n'a connu ni guérilla ni panoplie d'attentats anonymes. Voilà quelque chose dont nous pouvons à juste titre être fiers. Depuis, toutes les structures étatiques de par le monde semblent en progression. La fin de la Guerre Froide y a fortement contribué. En effet, lors de l'effondrement des deux grands blocs, nombre de pays ont dû faire face à des tensions intestines entre le pouvoir central et les entités périphériques. Il y allait parfois de la distribution de la richesse, mais bien souvent du désir ardent de parvenir à la reconnaissance d'une religion, d'une langue ou d'une culture. Ce n'est donc pas par hasard que le modèle belge est étudié partout dans le monde. Et fut de surcroît avancé comme solution à la "devolution" en Grande Bretagne ou à l'élaboration d'une nouvelle structure étatique à Chypre. Mais quiconque étudie le fédéralisme sait que la structure étatique ne constitue pas une donnée statique. Que du contraire ! Il s'agit plutôt d'un processus dynamique. Un processus dynamique nécessitant d'être peaufiné de temps à autre. Nous le savons mieux que n'importe qui. En Belgique, les premiers ingrédients qui ont mené à la première réforme de l'Etat ont été réunis en 1962 lors de la définition de la frontière linguistique et en 1963 lors de l'adoption du principe de la territorialité et l'introduction de communes dotées d'un statut particulier. La première véritable réforme institutionnelle vit le jour en 1970, par la reconnaissance constitutionnelle des régions linguistiques et l'introduction des communautés. Feu Gaston Eyskens déclarait alors à la Chambre que "l'état unitaire était dépassé par les faits de par sa structure et son fonctionnement tels que réglés par la législation actuelle". Et les faits lui donnèrent raison. En effet, lors des réformes institutionnelles successives, davantage de compétences ont été transférées du niveau fédéral aux communautés et aux régions. Ainsi, en 1980, outre certaines nouvelles compétences pour les communautés, le statut des régions fut défini. Les compétences visées étaient notamment l'économie, l'emploi, l'aménagement du territoire, l'environnement et le logement. En 1988, ces compétences furent à nouveaux étendues et le statut de la Région de Bruxelles-Capitale, dotée d'un Conseil propre, fut fixé. En 1993, il fut décidé de passer au suffrage direct pour les conseils régionaux et communautaires et de scinder la province du Brabant. En 2001, finalement, la cinquième réforme institutionnelle fut achevée. Il s'agissait des accords du Lombard et du Lambermont élargissant largement les possibilités de financement des communautés et des régions. Qui plus est, comme c'est le cas lors de toute réforme de l'état, des nouvelles compétences furent transférées au niveau régional. Madame la Présidente, Chers collègues, Le renforcement des communautés et régions ne constitue pas l'unique fil conducteur à travers les différentes réformes institutionnelles. La méthode appliquée l'est également. Lors de la déclaration de politiqué fédérale prononcée à la Chambre et au Sénat, j'ai affirmé qu'en Belgique, il est impossible qu'une communauté linguistique impose sa volonté à une autre. Jamais cela n'a porté ses fruits. Toute réforme substantielle n'a pu se réaliser que grâce à un large consensus, dépassant les frontières linguistiques et les partis. En 1970, Gaston Eyskens a tenté de réaliser ces réformes par l'intermédiaire de la voie classique. Ce qui a échoué. C'est la raison pour laquelle il constitua ledit groupe de travail 28 dans lequel étaient représentés les politiciens de tous les partis. En 1980, la réforme institutionnelle n'a pu voir le jour qu'après un accord conclu avec les présidents des partis des trois partis néerlandophones et francophones. En 1992, il y avait un dialogue entre les communautés, et seules étaient introduites des lois pour lesquelles il y avait un consensus. Pour les réformes institutionnelles les plus récentes, nous avions institué la Conférence Interministérielle et Interparlementaire sur le Renouveau Institutionnel, la CIIRI. La CIIRI était composée tant de membres intergouvernementaux qu'interparlementaires. Mesdames et Messieurs, Le Forum que nous lançons aujourd'hui au Sénat répond donc parfaitement aux caractéristiques de la tradition de cette méthode du dialogue. La seule méthode ayant fait ses preuves en Belgique. La seule méthode menant à des résultats. Et c'est justement ce à quoi nous aspirons tous. Car notre état fédéral requiert un peaufinage. Nous pouvons améliorer le fonctionnement de nos institutions. Personne n'en doute. La citation de Gaston Eyskens me revient immédiatement à l'esprit, à savoir que l'état unitaire est dépassé par les faits. En effet, nous travaillons aujourd'hui avec un vestige de l'état unitaire, à savoir le système bicaméral. Tout le monde reconnaît que le système bicaméral, tel qu'on le connaît actuellement, ne fonctionne pas au mieux. Ce qui n'est évidemment pas dû aux membres du Sénat, ni à son personnel. Que les choses soient claires ! Le système bicaméral, impliquant un double emploi quasiment intégral, ne concorde pas avec un État fédéral. Tous les États fédéraux connaissent une seule Chambre fédérale et une Chambre qui fait office de lieu de rencontres entre Régions ou Communautés. Il convient donc de réformer. Le point de départ est l'accord conclu le 26 avril 2002, transformant le Sénat en une Chambre des communautés et régions. Ce Sénat renouvelé sera principalement compétent pour la Constitution, les lois spéciales, les accords internationaux, les traités et les accords de coopération multilatéraux. Le sénat renouvelé bénéficiera, outre le droit d'initiative de soumettre des propositions à la Chambre des représentants, du droit d'évoquer également des décisions prises par la Chambre des représentants lorsque celles-ci portent sur les droits et les intérêts des communautés et régions. Il convient non seulement de reformer le système bicaméral classique, mais encore de trouver, dans esprit ouvert et de confiance mutuelle, des enveloppes de compétences plus homogènes. En procédant à de légers glissements de compétence, il est souvent possible de parvenir à une approche plus cohérente et efficace. Le citoyen en bénéficiera en premier lieu, vu qu'il saura plus facilement à quelle autorité s'adresser pour une question ou un problème quelconque. En la matière, plusieurs Gouvernements ont déjà formulé des propositions. L'accord de Gouvernement du 12 juillet 2003 avance également d'autres points pour l'ordre du jour du présent Forum, à savoir : l'autonomie constitutive de la Région de Bruxelles-Capitale et la révision de l'article 195 de la Constitution. J'en viens ainsi à un autre point de l'ordre du jour du Forum, comme indiqué dans l'accord de Gouvernement, à savoir l'agenda électoral des élections fédérales et des entités fédérées. C'est un problème qui mérite l'attention de tous. En effet, ces derniers temps, la crédibilité de la politique a fortement régressé. Ce phénomène n'est pas neuf, il existe depuis deux décennies déjà. Et il n'y a pas de solutions miracles. Nous n'en avons pas encore trouvé du moins. Mais commençons par le début, à savoir résorbons quelques irritations constatées chez les électeurs. L'une de ces irritations était incontestablement la multitude de dates d'élections. Il importe donc que ce Forum examine également ce problème. Chers collègues, Mesdames et Messieurs, La semaine passée, lors de la déclaration de politique fédérale, j'ai plaidé en faveur de l'arrêt de la fébrilité électorale. Aujourd'hui, je voudrais plaider pour que tous les membres de ce Forum prennent leurs responsabilités. Qu'ils s'ouvrent au dialogue. Qu'ils travaillent conjointement à un dialogue responsable. La mission du gouvernement fédéral est de créer le climat favorable à ce dialogue. De faciliter un dialogue responsable. C'est la raison pour laquelle je propose que la présidence du Forum soit assurée par les vice-premiers Ministres compétents pour les réformes institutionnelles. Le rôle des membres de ce Forum est d'adapter nos institutions aux nouveaux besoins de notre société. De trouver des solutions et de formuler des propositions pour davantage de cohérence structurelle des compétences fédérales, régionales et communautaires. Je vous demande donc d'être le plus présent que possible. Nous ne pouvons nous permettre de chaise vide. Lorsque vous n'êtes pas présent, désignez donc un suppléant qui assistera à la réunion. Étant donné qu'une importante partie des travaux du Forum concernera la réforme du Sénat, je propose, pour conclure, qu'outre les actuels membres du Forum, nous ajoutions six sénateurs, six représentants des grands groupes démocratiques du Sénat. Madame la Présidente, Chers collègues, Je tiens à remercier le Sénat des possibilités logistiques qu'il offre pour couronner ce Forum de succès. Grâce à cet engagement positif de votre part, nous pourrons parvenir à ce dont nous avons besoin, à savoir une sixième réforme institutionnelle. Ensemble, nous pourrons accompagner le dernier pas de l'État unitaire belge vers un État fédéral adulte. Je vous remercie.