Faut-il élargir le remboursement des pompes d’assistance cardiaque ?
Chaque année, plus de 10 000 Belges apprennent qu’ils sont en état de décompensation cardiaque. Un certain nombre d’entre eux, en décompensation sévère et évolutive, peuvent entrer en ligne de compte pour une transplantation cardiaque, mais étant donné la pénurie de donneurs, la liste d’attente est très longue. Pendant la période d’attente, il est possible de leur implanter un dispositif d’assistance ventriculaire pour soutenir la fonction de leur cœur. L’INAMI rembourse 50 de ces dispositifs par an. Le Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE) a évalué dans quelle mesure il serait coût-efficace de placer aussi ce type d’appareil chez les patients qui n’entrent pas immédiatement en ligne de compte pour une transplantation.
D’un point de vue médical, les dispositifs d’assistance ventriculaire apportent une réelle plus-value car ils améliorent tant la survie que la qualité de vie des patients. Mais leur coût est très élevé en comparaison avec celui du traitement classique. D’un point de vue d’économie de la santé, il n’y a donc pas d’arguments en faveur d’un élargissement de leur remboursement.
Chaque année plus de 10 000 Belges en décompensation cardiaque
La décompensation cardiaque est une affection fréquente: on estime qu’elle touche plus de 10 000 Belges chaque année. On parle d’insuffisance cardiaque lorsque le cœur n’est plus capable de faire circuler un volume de sang suffisant dans l’organisme. Par conséquent, les différents organes sont moins bien approvisionnés en oxygène et en nutriments. Les personnes atteintes d’insuffisance cardiaque se fatiguent vite, sont vite essoufflées et peuvent présenter une accumulation de liquide (œdème) dans les poumons, les jambes et l’abdomen. L’intensité des symptômes est très variable : certains patients peuvent poursuivre leurs activités quotidiennes sans difficulté tandis que d’autres sont extrêmement limités, même au repos.
Les transplantations cardiaques limitées par le manque de donneurs
L’insuffisance cardiaque ne peut généralement pas être guérie, mais ses symptômes peuvent être soulagés par des mesures adéquates, notamment la prise de médicaments et une adaptation du mode de vie. Les patients dont l’insuffisance cardiaque est sévère et évolutive peuvent être candidats à une transplantation cardiaque. Cette intervention améliore sensiblement leur survie et leur qualité de vie: plus de la moitié sont encore en vie 10 ans après l’intervention. Toutefois le nombre de transplantations cardiaques n’a plus augmenté depuis 20 ans, faute de donneurs d’organes. Pourtant, le nombre de demandes continue à croître. La liste d’attente est donc longue.
Rembourser plus de 50 dispositifs d’assistance ventriculaire par an?
Chez les patients pour qui le traitement médicamenteux classique ne suffit plus, on peut, en attendant la greffe, implanter un dispositif d’assistance ventriculaire gauche (DAVG). Il s’agit d’une petite pompe qui soutient la fonction cardiaque ; elle est placée à l’intérieur de la cavité thoracique ou dans le haut de la cavité abdominale. Le dispositif fonctionne grâce à des batteries que le patient transporte constamment avec lui.
L’assurance maladie ne rembourse qu’un certain nombre de ces appareils par an, nombre qui n’a cessé d’augmenter suite aux demandes des cliniciens : de 20 en 1999, il est passé à 50 en 2014. Jusque 2014, ces appareils n’étaient remboursés que pour les patients en attente de transplantation. Depuis lors, quelques-uns peuvent également être attribués chaque année à des patients chez qui on ne sait pas encore s’ils vont pouvoir être mis sur la liste d’attente. À l’heure actuelle, les dispositifs d’assistance ventriculaire ne sont pas remboursés s’il n’y a pas de perspective de transplantation cardiaque.
Les cliniciens demandent à présent une augmentation du chiffre de 50 appareils remboursés par an, de manière à pouvoir soigner davantage de patients qui n’entreront (probablement) pas en ligne de compte pour une transplantation. C’est pourquoi l’INAMI a demandé au KCE d’évaluer l’efficacité clinique et le rapport coût-efficacité de ces appareils pour cette catégorie particulière de patients.
Amélioration sensible de la survie et de la qualité de vie…
Les DAVG améliorent sensiblement la survie de ces patients : sous traitement médicamenteux, ils vivent encore en moyenne 9 à 10 mois tandis qu’avec un DAVG, leur espérance de vie monte à 4,8 ans. L’intervention améliore aussi considérablement leur qualité de vie, et ce en dépit des complications possibles (hémorragies, accidents vasculaires cérébraux, infections locales, insuffisance cardiaque droite, panne de l’appareil).
… mais à quel prix ?
Le KCE a calculé que le coût total moyen d’un DAVG pour le reste de la vie du patient s’élève à environ 260 000 €, ce qui comprend le prix de l’appareil (environ 67 000 €), de l’intervention et des hospitalisations. En effet, après une implantation réussie, les patients passent environ 5 % de leur temps en nouveaux séjours hospitaliers, avec un coût moyen d’environ 26 000 € par mois d’hospitalisation. Le coût du traitement médicamenteux classique reste pour sa part largement inférieur (moins de 50 000 €) étant donné l’espérance de vie malheureusement limitée de ces patients.
Vers un débat de société ?
Le KCE conclut que du point de vue médical, et donc du point de vue de la relation médecin-patient individuelle, les dispositifs d’assistance cardiaque apportent des bénéfices clairs : ils allongent la survie de 4 ans en moyenne et améliorent la qualité de vie des patients en insuffisance cardiaque sévère.
Sur le plan de l’économie de la santé, les conclusions sont toutefois moins évidentes. Les DAVG représentent actuellement une très lourde dépense pour le système de santé. Et quand on les compare au traitement classique, leurs coûts additionnels sont très importants par rapport aux bénéfices qu’ils apportent. Du point de vue de l’économie de la santé, il n’y a donc pas d’arguments pour soutenir un élargissement du remboursement à plus de 50 DAVG par an.
Le remboursement systématique d’interventions dont le rapport coût-efficacité est à ce point élevé pourrait, à terme, menacer la pérennité de l’assurance maladie. Le KCE ajoute donc que ce sujet mériterait de faire l’objet d’un débat éthique et sociétal.
Qu’est-ce que le rapport coût-efficacité ? Une analyse du rapport coût-efficacité exprime les bénéfices d’un traitement donné en « gain d’années de vie » ou en « gain d’années de vie ajustées en fonction de la qualité » (ce que l’on appelle aussi Quality-Adjusted Life-Year ou QALY) pour le patient. Lorsqu’un traitement est moins onéreux que le traitement existant et qu’il donne un meilleur résultat pour le patient, le choix est facile. Mais bien souvent, les traitements qui apportent des bénéfices plus importants que l’approche classique sont aussi plus chers. Se pose alors la question clé : quels sont les coûts additionnels d’une année de vie supplémentaire (avec une bonne qualité de vie)? |