20 mai 2022 00:05

Il faut mieux soigner les infirmiers de soins intensifs!

Le personnel soignant a beaucoup souffert de la crise du COVID-19, et en particulier les infirmiers de soins intensifs. La situation était déjà critique bien avant la pandémie, elle est devenue franchement préoccupante aujourd’hui. L’étude du Centre fédéral d’Expertise des Soins de santé (KCE) publiée aujourd’hui montre que de nombreux infirmiers de soins intensifs sont à la limite du burn-out et envisagent de quitter leur emploi, ou même la profession infirmière. Un bon environnement de travail est un élément essentiel pour retenir dans nos hôpitaux ces professionnels hautement spécialisés et difficilement remplaçables. Le Fonds Blouses blanches a été un premier pas historique pour améliorer leur situation (et celle de la profession infirmière en général) mais il est à présent temps de passer à la vitesse supérieure avec un véritable plan global pour attirer des infirmiers vers les unités de soins intensifs et les motiver à y rester. Ce plan devrait porter, entre autres, sur une meilleure reconnaissance, une rémunération adéquate, une promotion de la formation ainsi qu’une dotation en personnel conforme aux normes internationales.

Une période de stress intense

La pandémie de COVID-19 a été une période très intense, stressante et pénible pour tout le personnel soignant, mais cette étude du KCE montre que les infirmiers des unités de soins intensifs (USI) ont payé un tribut particulièrement lourd. Chacun a encore en mémoire les images impressionnantes de ces services débordés de patients luttant contre la mort, entourés d’une ruche bourdonnante de professionnels affairés, concentrés, attentifs.
L'augmentation affolante du nombre de patients a créé un besoin en personnel sans précédent dans ces unités, et du personnel non spécialisé a souvent dû venir en renfort. Le taux de mortalité élevé des patients, le fait de devoir porter en permanence du matériel de protection encombrant, la peur de l’infection pour soi-même et sa famille, la nécessité d’imposer des mesures sanitaires drastiques aux visiteurs, les innombrables heures supplémentaires…, tout cela a créé un contexte de travail particulièrement stressant et physiquement exigeant pour le personnel des USI. Vient s’y ajouter le fait qu’après avoir été regardés comme des héros, le personnel des soins intensifs s’est senti critiqué par une partie du public lorsque les applaudissements se sont tus, et que cela a été vécu comme un désaveu très blessant de leur engagement pour la santé de la population.

Une large enquête quantitative et qualitative

Le Centre fédéral d’Expertise des Soins de santé (KCE), qui avait déjà publié un rapport sur la dotation infirmière en 2020 (rapport KCE 325), s’est à nouveau penché sur le sujet, avec cette fois un focus sur les soins intensifs et une volonté de tirer les leçons de la crise du COVID- 19. Une vaste enquête a été menée auprès des infirmiers d’USI partout en Belgique, avec un taux de réponse impressionnant de presque 50 % qui montre à quel point ils souhaitaient faire entendre leur voix.

Des paramètres tels que le nombre de patients par infirmier, les niveaux de formation au sein des équipes, la perception de la qualité des soins dispensés, la qualité de l’environnement de travail, la satisfaction et le bien-être au travail ont été mesurés (via le même questionnaire que dans l’étude précédente). Des interviews et focus groups y a été ajoutés, ce qui a permis d’entendre et de recueillir directement le vécu sur le terrain.

L’environnement de travail, un paramètre qui influence (presque) tous les autres 

L’analyse des résultats de l’enquête en ligne montre que les hôpitaux qui offrent le meilleur environnement de travail (mesuré par une échelle internationale comptant 32 paramètres) obtiennent systématiquement de meilleurs résultats, à tel point que certains hôpitaux offrant un très bon environnement de travail ont réussi à limiter l'impact de la pandémie sur le bien-être de leur personnel des soins intensifs. Par qualité de l’environnement de travail on entend des facteurs tels que la participation à la politique hospitalière, la qualité des relations médecin-infirmier, le leadership infirmier, etc. 

Ainsi, le risque de burn-out (épuisement émotionnel) est 2,4 fois plus élevé dans les hôpitaux où l’environnement de travail est le plus mauvais (54 %) par rapport à ceux où il est le meilleur (23 %). C'est également vrai pour d'autres paramètres comme l'intention de quitter son emploi actuel, qui est 2,1 fois plus élevée dans les hôpitaux où l'environnement de travail est le plus mauvais par rapport à ceux où il est le meilleur (56 % contre 27 %). Ces différences méritent qu'on s'y attarde.

La perception de la qualité des soins dispensés est également influencée par l’environnement de travail. Ainsi dans les hôpitaux offrant le meilleur environnement de travail, 80 % des infirmiers déclarent que la qualité des soins dans leur service est bonne ou excellente, alors que cette proportion n'est que de 49 % dans les hôpitaux offrant le pire environnement de travail.

Affiner le nombre de patients par infirmier

Le lien entre le nombre de patients par infirmier et le bien-être des infirmiers ou la qualité (perçue) des soins est moins marqué en soins intensifs que pour les services d'hospitalisation classiques, mais cela n’est pas une surprise car les unités de soins intensifs se voient déjà appliquer un ratio légal maximal de 3 patients pour un infirmier. Il y a donc moins de variations entre hôpitaux.
Ce ratio de 3:1 n'est cependant pas une réalité dans tous les hôpitaux (p. ex. certains ne tiennent pas compte du taux d’absentéisme). De plus, il comptabilise aussi les infirmiers en chef qui ont des responsabilités de gestion et sont donc moins souvent au chevet des patients. Par ailleurs, ce ratio est le même pour toutes les USI alors que l’état des patients dans certaines unités exigerait une présence infirmière plus soutenue. Les infirmiers sont donc demandeurs d’un ratio adapté à la charge de travail réelle, mesurée objectivement et de façon spécifique pour les soins intensifs, avec éventuellement la fixation de plusieurs « niveaux » de soins intensifs.

Une formation mal valorisée

Le niveau de formation des infirmiers d’USI est également un point d’attention. Ils sont (quasi) tous diplômés au moins au niveau bachelier et près de 80 % détiennent en outre un « Titre Professionnel Particulier d'Infirmier Spécialisé en Soins Intensifs et Soins d’Urgence » (TPP
SISU). Il n’est donc pas exagéré de dire qu’il s’agit d’un personnel hautement qualifié, soumis à un niveau élevé de responsabilité.
Les infirmiers d’USI sont cependant mécontents de la manière dont cette expertise est valorisée, avec 75 % d’entre eux qui se déclarent insatisfaits de leur salaire (surtout depuis la réforme des barèmes en 2018).

Une ressource rare et difficilement remplaçable

Les tentatives (nécessaires) de renfort par des infirmiers non spécialisés en soins intensifs pendant la pandémie de COVID-19 nous ont appris que les infirmiers d’USI sont aussi difficilement remplaçables. Et pourtant, leur expertise est souvent « gaspillée » à des tâches qui ne requièrent pas de compétences spécifiques en matière de soins infirmiers – et certainement pas de soins intensifs. C’est ainsi que 99,6 % des répondants à l’enquête déclarent effectuer des tâches administratives, 89,4 % des commandes et du rangement de médicaments, et 80,9 % du nettoyage des chambres et des équipements... Ce constat avait déjà été posé dans la précédente étude du KCE. La solution ici est d’engager du personnel de soutien (aides-soignants, personnel logistique) pour compléter les équipes – mais non pour remplacer les infirmiers ! – afin d’optimaliser les expertises disponibles. 

Plaidoyer pour un plan global

Le personnel de santé est l'épine dorsale et l'atout le plus précieux de notre système de santé, mais il en est aussi le talon d'Achille. Le personnel des unités de soins intensifs – et en particulier les infirmiers – s’est avéré être le principal goulot d'étranglement pour assurer la capacité hospitalière nécessaire à faire face à la pandémie. Même si des solutions ont été « bricolées » pendant la pandémie, par exemple en faisant appel à des infirmiers provenant d'autres unités, à la retraite ou encore étudiants, ce serait une grave erreur de jugement de considérer ces stratagèmes comme des solutions à long terme.

C’est pourquoi le KCE exhorte les autorités à mettre en place un plan global pour attirer des infirmiers vers les soins infirmiers en général et vers les USI en particulier, et pour les motiver à y rester. Ce plan devrait porter, entre autres, sur une meilleure reconnaissance, une rémunération adéquate, une promotion de la formation ainsi qu’une dotation en personnel conforme aux normes internationales. Il faut également mettre en place des initiatives pour améliorer la qualité de l’environnement de travail dans les hôpitaux.

La situation générale de la profession infirmière était déjà critique avant la crise sanitaire et ces deux années de pandémie n’ont fait que l’aggraver. Des investissements importants avaient déjà été consentis dès avant la crise, avec la création du Fonds Blouses blanches, une importante première étape. Pendant la pandémie, les budgets de ce Fonds ont été pérennisés et des dispositions légales ont été prises pour garantir que ces budgets serviraient véritablement à augmenter les effectifs. Il est maintenant temps de passer à la vitesse supérieure pour que les infirmiers puissent assumer pleinement leur rôle essentiel dans la société.