20 déc 2004 19:29

Message du Premier Ministre prononcé du début de la nouvelle année

Message du Premier Ministre à l'occasion du début de la nouvelle année.

Message du Premier Ministre à l'occasion du début de la nouvelle année.

Message du Premier Ministre à l'occasion du début de la nouvelle année. Hors des tranchées ! Ces dernières semaines, tout comme nombre d'entre-nous d'ailleurs, j'ai suivi de très près et avec étonnement les événements qui ont marqué les Pays-Bas. En effet, l'assassinat de M. Theo Van Gogh met en ébullition l'ensemble de la société néerlandaise. Des écoles et des mosquées sont incendiées, des cimetières profanés. Une véritable guerre fait rage entre la chrétienté et l'islam. Les Pays-Bas ne forment pas un cas isolé. En effet, dans le monde entier, et au niveau de tous les segments de notre société, nous enregistrons depuis quelques années une recrudescence de la violence. Et c'est surtout dans le courant de cette année écoulée que notre société était en proie à ce que je désignerais comme « l'idéologie de la confrontation », une éruption apparemment irrésistible de la volonté d'obtenir gain de cause par le truchement de paroles ou d'armes, de repousser coûte que coûte toute autre perception, tout autre segment de la population, toute autre culture ou toute autre religion. Les suites de la guerre en Irak, les affreuses images de décapitation d'otages, la construction d'un mur séparant l'Etat d'Israël de la Palestine, la terreur en Tchétchénie, les dizaines de milliers de morts en Côte d'Ivoire, au Soudan et en Afrique centrale, il est incontestable que l'idéologie de la confrontation progresse partout. Aux Etats-Unis, une guerre fait rage entre les progressistes des côte Est et Ouest et les conservateurs de l'intérieur du pays. Le vieux continent européen est désespérément désuni suite à la guerre menée en Irak et l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Dans le monde entier, outre le fossé béant séparant le Nord et le Sud, des tensions croissantes marquent les relations entre le « Christian West » et le « Muslim rest ». Même les anciennes divergences opposant l'Ouest et l'Est sont ravivées par l'intermédiaire de la crise en Ukraine. Et notre propre société n'y échappe pas. L'année 2004 fut, en Belgique, une année marquée par les confrontations et la résistance. La confrontation découlant de l'introduction du droit de vote des étrangers, de la problématique de Bruxelles-Hal-Vilvorde, des gouvernements asymétriques et de la possible division de notre pays à propos du Vlaams Blok. Il y a 15 ans, la situation était tout autre. Le mur de Berlin venait de tomber, la démocratie entamait son irrésistible marche en avant. L'avenir du monde était prometteur, une longue période de repos, de paix et de prospérité s'annonçait. « La fin de l'histoire est imminente » disait Fukuyama. Aujourd'hui, il n'en est rien. L'histoire ne se terminera jamais. En effet, depuis les attentats du 11 septembre 2001, le monde a été précipité dans une nouvelle ère, une ère de terreur, d'horreur et d'exécration. Une lutte à outrance, menée sans nuances, sans compassion, stigmatisant immanquablement la culture ou la croyance de l'autre comme inférieure. L'on oublie apparemment qu'il n'existe ni culture ni religion inférieure. Il n'y a, en revanche, que des interprétations inférieures concernant certaines croyances ou cultures. C'est le cas des islamistes fondamentalistes, imposant le port de la bourqua aux femmes. Et c'est autant le cas des chrétiens qui arborent leur haine et aversion à l'égard des mères célibataires ou des homosexuels. « L'idéologie de la confrontation » à laquelle se livrent le monde et notre pays ces dernières années n'épargne personne. Même pas nos célèbres valeurs. Normalement, ces valeurs-là auraient dû surmonter les divergences sociales, apaiser la société, en d'autres termes, rendre la confrontation dépourvue de sens et d'objectifs. Pourtant, le contraire se vérifie. Les « valeurs » sont même ciblées par la confrontation. « Ces valeurs » sont devenues de véritables armes. Il ne s'agit plus de principes de base solides ou traditionnels selon lesquels nous tentons de vivre, mais de mots sacrés avec lesquels nous rejetons les « païens », les étrangers, de notre société. Sauf s'il est disposé à s'y assujettir. Ainsi, la liberté d'expression est devenue synonyme d'insultes. La liberté de culte, celle d'assassiner. L'égalité entre hommes et femmes est devenue un concept dépourvu de sens. Les conservateurs invoquent cette liberté pour attaquer l'islam, mais ne l'appliquent guère. Et les progressistes, qui devraient défendre bec et ongles le caractère universel de cette égalité, proclament désormais le relativisme, subordonnant par conséquent les droits de l'homme à la religion et à la culture. Toutefois, l'évolution la plus inquiétante des dernières années est bel et bien que sur « l'idéologie » de la confrontation s'est entée une véritable « culture » de la confrontation. Pas une journée ne passe sans que les journaux ou les médias télévisés ne se focalisent sur cette confrontation. Pis, aujourd'hui, pour la plupart des médias, un fait n'est qualifié d'intéressant que s'il mène directement à la discorde ouverte voire carrément à des conflits. D'ailleurs, la seule façon d'être cité par les médias est de se prononcer avec ardeur contre quelque chose ou quelqu'un. Finalement, il ne s'agit plus d'informer, mais plutôt de confronter. Le conflit pour le conflit, car il se vend bien. Les noms des programmes dans lesquels les politiques sont mis sur la sellette en disent long : «wit/zwart», «de volksjury», «de leeuwenkuil», que des programmes qui refusent d'admettre que la vérité contient parfois une large bande de gris. Plus il est question de sauvagerie, plus la querelle est directe et controversée, mieux c'est, car cela implique un nombre de lecteurs ou de téléspectateurs plus élevé. Le réel danger est que nous allons tous commencer à penser de la sorte. En caricaturant. En généralisant. Les Turcs, les musulmans, les politiques, les Américains, les immigrés. Ainsi, il est aisé d'inventer des réponses et des solutions simplistes, souvent dénuées de tout sens de réalisme. L'idéologie de la confrontation dilue le bon sens. La réalité est - heureusement - tout autre, la réalité est nuancée, complexe, mais elle n'est jamais simpliste. Et cette réalité ne se découvre pas en se dissimulant dans les tranchées de sa propre raison absolue. La fonction du Premier Ministre est de ne pas se cacher dans les tranchées. La tâche du Premier Ministre est de ne pas diviser, mais d'unifier, de ne pas déchirer, mais de réunir, en quelque sorte, de maintenir un ensemble cohérent. Dans notre monde actuel de la confrontation, cela semble une mission quasiment impossible. Bien rapidement, l'on ressemble en effet à un Don Quichotte qui, coupé des réalités de ce monde et allant à l'encontre de toute logique, proclame une nouvelle positive. Pourtant, c'est exactement ce dont nous avons besoin. Une attitude positive et constructive, en d'autres termes, une idéologie de dialogue et de solidarité afin de résister à l'appât de la polarisation en vigueur. Réinventer la société qui nous échappe graduellement depuis quelques années, voilà ce dont il s'agit. Comment faut-il donc agir? Tout d'abord en développant une nouvelle terminologie qui se situe aux antipodes du langage belliqueux que nous manions actuellement. Puis, il faudra développer des projets positifs et des réformes profondes qui démontrent que notre société peut être un havre de paix, de repos et de stabilité et n'est pas synonyme de haine, de violence et de guerre. Aujourd'hui, comme il sied de le faire au début d'une nouvelle année, je tiens à vous présenter un programme comprenant 7 points dont l'objectif est de lancer, en 2005, ce nouveau dialogue impératif. (1) Notre pays est l'un des pays les plus prospères au monde. Afin de maintenir cette situation à l'avenir, nous nécessiterons, en 2005, un important et nouvel accord social. Il conviendra de conclure des conventions concernant la fin de carrière et le vieillissement afin que davantage de personnes puissent commencer à travailler ou continuer à exercer leur profession pour une période plus longue. (2) Après plus de 40 ans de tensions entre Flamands et Francophones, à et autour de Bruxelles, il est temps de déminer définitivement la situation. Non pas par un vote Flamands contre les Francophones, non pas par confrontation, mais par le biais d'un compromis, sans vainqueur ni perdant, par un accord approuvé par les deux grandes communautés de notre pays. (3) Le fédéralisme dont nous fêterons les 25 années d'existence en 2005, conjointement avec les 175 ans de l'indépendance belge, devra être parachevé. Un Forum transformera le Sénat en une Chambre des Régions et Communautés. Les compétences distinctes seront davantage affinées en vue d'obtenir plus de transparence et d'implication de la part des citoyens. (4) Outre la pacification communautaire, notre pays a également besoin d'un dialogue interreligieux en vue d'éviter à tout prix la confrontation telle qu'elle existe dans d'autres pays. En 2005, une conférence sera organisée avec les chefs religieux de notre pays, à laquelle seront invités des imams, des rabbins, des prêtres et des partisans des idées libérales pour qu'ils se rapprochent les uns des autres. (5) C'est dans ce même esprit que l'Europe devra, en 2005, lancer les négociations d'adhésion avec la Turquie. La Turquie peut endiguer le fondamentalisme et devenir un symbole pour nombre de pays arabes et de l'Afrique du Nord en démontrant qu'un pays musulman est capable de devenir un état prospère et moderne, un Etat où démocratie et séparation de l'église et de l'Etat constituent des thèmes essentiels. (6) En 2005, nous devrons également ratifier la Constitution européenne, ce qui créera une nouvelle base et engendrera une coopération étroite pour que l'Europe joue enfin un rôle significatif sur la scène internationale. (7) Pour conclure, 2005 devra également devenir l'année du renouveau du partenariat atlantique, d'une nouvelle relation entre l'Europe et les Etats-Unis. Le fossé s'est agrandi ces dernières années. Il faut inverser cette tendance. Notamment par le biais d'un agenda mondial stratégique, décidé par des partenaires équivalents. Un agenda dont les thème centraux sont la paix au Moyen-Orient et la reconstruction de l'Afrique. Noël 1914, le monde a été secoué voici exactement 90 ans. Des milliers de soldats Britanniques, Français et Belges se trouvaient enfouis dans les tranchées de l'Yser. De l'autre côté se trouvait un nombre équivalent d'infanteries Allemandes. Certains d'entre-eux ont commencé à chanter des chansons de Noël, Après quelques brefs moments, les soldats alliés chantaient avec eux. Jusqu'au moment où un soldat a osé sortir des tranchées, un drapeau blanc en main, pour rejoindre le « no man's land ». Sur l'ensemble du front, des soldats suivirent son exemple. Tout le monde s'étonnait de voir que les opposants n'étaient pas des monstres, comme ils le pensaient, mais de simples soldats, tout comme eux. Les soldats de part et d'autre du front ont commencé à se parler, à s'échanger des denrées, à faire la fête, ils ont même commencé à jouer au foot. Cette trêve de Noël a persisté plusieurs semaines. Qui aurait, en effet, pu abattre un homme qu'il connaissait ? J'espère qu'en 2005, les opposants du monde entier quitteront leurs tranchées. Qu'ils se rendent compte que la seule véritable base de la cohérence d'une société saine ne s'acquiert pas par le biais d'une amère confrontation mais par un dialogue constructif. Guy Verhofstadt