Il faut un cadre stable pour les soins intégrés
La convention Protocole 3 a été lancée en 2010 pour soutenir des projets innovants de soins à domicile pour des personnes âgées fragiles nécessitant des soins complexes. Elle a subi quelques remaniements au fil du temps, mais est restée à l’état de projet pilote. L’INAMI a demandé au Centre fédéral d’Expertise des Soins de santé (KCE) d’en faire une évaluation avant de décider de son éventuelle pérennisation.
Après avoir interrogé tous les acteurs impliqués ainsi que des bénéficiaires, le KCE constate que, même si les résultats sont globalement satisfaisants, les remaniements de la convention mettent en péril sa philosophie première et risquent de démotiver les soignants qui s’y impliquent. Il recommande que les soins proposés dans ce cadre soient transformés en un modèle généralisé de soins intégrés et bénéficient d’un cadre structurel stable. Le moment y est sans doute propice, puisque l'INAMI a fait de l'intégration des soins l'un des principaux objectifs de son tout récent budget pluriannuel.
Une approche holistique et innovante
Depuis 2010, l’INAMI soutient des projets pilotes proposant des approches innovantes et multidisciplinaires pour les soins à domicile des personnes âgées fragilisées par des maladies chroniques nécessitant des soins complexes. Les soins dispensés doivent reposer sur une vision holistique de l’état de santé du bénéficiaire. Cette initiative porte le nom de « convention Protocole 3 ».
L’objectif premier des projets de la convention Protocole 3 est de permettre à ces personnes âgées de mener plus longtemps une vie de qualité à leur domicile et d’éviter, de retarder ou à tout le moins d’adoucir la transition vers une structure de soins résidentiels. En même temps, ils visent aussi à améliorer la qualité de vie des aidants proches et à assurer la sécurité de l’environnement familier (p. ex. prévention des chutes).
Des projets éternellement pilotes ?
La convention Protocole 3 était au départ limitée dans le temps ; elle devait être évaluée après quelques années et suivie d’un ancrage structurel si cette évaluation s’avérait positive. Mais les différents changements de gouvernement qui ont émaillé l’histoire politique récente de notre pays n’ont pas permis cet aboutissement rapide. Une deuxième phase a été lancée en 2014, qui s’est prolongée jusqu’en 2019, pour être ensuite remplacée par une troisième phase qui doit se terminer fin 2022. L’INAMI a demandé au KCE d’évaluer cette troisième phase.
Des acteurs et des bénéficiaires globalement satisfaits
Les chercheurs du KCE ont rencontré de très nombreux acteurs de terrain impliqués dans les projets Protocole 3 : soignants, coordinateurs de projets, aidants proches et bien entendu les patients bénéficiaires. Les membres du comité d’accompagnement de l’INAMI ont également été interrogés. Dans l’ensemble, tout le monde estime que les résultats sont positifs et que la philosophie initiale et les objectifs de la convention sont rencontrés. L'engagement et l'expertise des professionnels de santé et des organisations de soins, ainsi que la qualité des soins offerts, ont par ailleurs été soulignés.
Une troisième phase qui met la philosophie des projets en péril
Cependant, nombreux sont les acteurs qui déplorent les changements introduits lors de la troisième phase, car ils ont fortement mis sous pression les principes d'intégration des soins et de coopération interprofessionnelle qui faisaient le socle de la philosophie initiale des projets.
Les acteurs interrogés estiment notamment que les critères d’admission sont devenus trop sélectifs et ne correspondent plus à la réalité clinique de leurs bénéficiaires. Ces critères se focalisent essentiellement sur les « Activités Instrumentales de la Vie Quotidienne » alors que celles-ci ne représentent qu’une facette limitée de l’état de santé global des personnes âgées fragiles. Une limitation des soins à six mois a également été introduite, ce qui semble insuffisant pour parvenir à une amélioration durable de la qualité de vie des bénéficiaires et de leurs aidants proches.
Par ailleurs, la troisième phase du Protocole 3 a vu le financement forfaitaire remplacé par un financement à l’acte qui restreint les possibilités de travail réellement interdisciplinaire. Ces nouvelles modalités laissent également peu de possibilités à des approches préventives. Bref, les coordinateurs des projets disent avoir le sentiment de devoir se montrer extrêmement ‘créatifs’ pour pouvoir offrir le niveau de soins que promettait la convention à des débuts.
Incertitude et démotivation
Le fait que les projets Protocole 3 végètent dans un statut de projets-pilotes génère un sentiment de précarité professionnelle et des conditions de travail peu concurrentielles, ce qui contribue – toujours d’après les sondés – à un roulement de personnel plus important, à un manque de continuité des soins, à une démotivation des équipes et à une perte de connaissances et de compétences au sein des projets. On observe également qu’un nombre croissant d’organismes de soins ont décroché du Protocole 3 ou ont l’intention de le faire.
Ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain
Malgré ces regrets, tous les acteurs interrogés restent convaincus de la valeur ajoutée des projets Protocole 3. Ils estiment que ce travail leur a permis d’innover, d’apprendre à se connaître et de développer des liens de collaboration dans un climat de confiance par-delà les limites des professions et des lignes de soins. Tous plaident donc en faveur d’un ancrage structurel de ce type de soins intégrés pour les personnes âgées fragiles à domicile.
Le moment y est sans doute propice. L'INAMI a fait de l'intégration des soins l'un de ses principaux objectifs dans son tout récent budget pluriannuel. Diverses formes d'intégration des soins ont été récemment lancées, comme les ‘soins intégrés pour les patients chroniques’ ou encore les eerstelijnszones (zones de première ligne) en Flandre.
Vers un modèle généralisé de soins intégrés
Le KCE recommande donc que les soins proposés dans les projets Protocole 3 soient transformés en un modèle généralisé de soins intégrés dans un cadre structurel et stable. Il recommande à cet effet de revoir les formes de financement, de garantir de la transparence, de fournir un soutien informatique efficace, d’accroître la couverture géographique des projets et de garantir une coordination adéquate entre les autorités fédérales et fédérées compétentes en matière de santé et de bien-être. Enfin, le KCE souligne à quel point il est important d’impliquer les acteurs de terrain dans le développement du modèle de soins.