23 déc 2020 00:05

Précieuses immunoglobulines : comment optimaliser leur utilisation face aux menaces de pénurie ?

Les immunoglobulines, produites à partir du plasma humain, sont des médicaments précieux et coûteux utilisés pour traiter des maladies rares elles aussi, et parfois gravissimes. Or les risques de pénurie sont de plus en plus importants au niveau mondial comme au niveau belge. Il est donc urgent de mettre en place des stratégies pour mieux maitriser leur approvisionnement et optimaliser leur utilisation. Le Centre fédéral d’Expertise des Soins de santé (KCE) a été chargé d’évaluer leur efficacité et d'estimer les quantités dont notre pays devrait pouvoir disposer dans les années à venir.

Un problème à l’échelle mondiale

Les immunoglobulines (Ig) sont des anticorps extraits du plasma humain. On les utilise depuis longtemps chez les personnes qui n’en produisent pas suffisamment, ce qui les expose à multiplier les infections. Dans les années 1980, on a commencé à les utiliser également dans certaines maladies auto-immunes ou inflammatoires, souvent rares et parfois très graves. 

Les progrès de la médecine font que la demande en Ig augmente de façon constante, et ce dans le monde entier. Or, comme leur production dépend du plasma humain, leur approvisionnement est forcément limité. Il s’agit aussi de produits chers : le prix d’une administration varie de 1300 à  7000 € et certains traitements doivent se faire à vie. 

Le marché mondial des Ig est désormais sous tension. Notre pays a connu récemment – et connaît encore – quelques problèmes aigus d’approvisionnement et la situation risque fort de s'aggraver encore. Comme nous sommes dépendants du marché international pour plus de la moitié de nos approvisionnements, la petite taille du marché belge et l’actuelle pression sur les prix jouent en notre défaveur. La pandémie de COVID crée une pression supplémentaire parce que les dons de plasma ont diminué au niveau international. 

Il s’agit d’un problème complexe, qui doit être abordé à de multiples niveaux. Il a été demandé au KCE de fournir un « état des lieux » de l’utilisation des Ig en Belgique, afin de permettre aux autorités compétentes d’élaborer des solutions pour l’avenir. 

Huit maladies reconnues en Belgique 

Notre pays reconnaît huit maladies donnant lieu à un remboursement des immunoglobulines, mais d’autres pays en reconnaissent davantage. Dans une première partie de l’étude (Rapport KCE 327), le KCE a passé en revue les preuves scientifiques qui soutiennent l’utilisation des Ig pour ces huit maladies, ainsi que pour les principales autres maladies reconnues à l’étranger. Malheureusement, pour un grand nombre de ces affections, souvent rares et graves, il n’existe pas toujours de preuves solides d'efficacité. Si nous devions envisager de les inclure dans le remboursement, il faudrait donc considérer des critères additionnels, par exemple ceux utilisés pour les besoins médicaux non rencontrés (Unmet Medical Needs – voir rapport KCE 272). Actuellement, les patients touchés par ces maladies doivent faire appel au Fonds spécial de Solidarité de l’INAMI.  

Les huit maladies pour lesquelles les Ig sont remboursées en Belgique : 

  • Immunodéficience primaire (congénitale) si le patient présente des infections récurrentes nécessitant des antibiotiques ;
  • Immunodéficience secondaire suite à un cancer hématologique (p.ex. myélome multiple, leucémie lymphoïde chronique), une chimiothérapie ou dans le cadre d’une greffe de cellules souches, si le patient présente des infections récurrentes nécessitant des antibiotiques ;

- Purpura idiopathique thrombocytopénique si (risques sérieux de) saignements graves ;
- Maladie de Kawasaki (maladie inflammatoire rare touchant principalement les enfants) ;
- Syndrome de Guillain-Barré si le patient montre un affaiblissement musculaire progressif ;
- Polyneuropathie inflammatoire démyélinisante chronique si la maladie perturbe le fonctionnement quotidien du patient et si le traitement par corticoïdes oraux est inefficace ou contre-indiqué ; 
- Neuropathie motrice multifocale si la maladie perturbe le fonctionnement quotidien du patient ;
- Infection invasive par streptocoque du groupe A (choc toxique streptococcique) si d’autres traitements n’ont pas fonctionné (dernier recours).

D’abord mieux cerner les utilisations actuelles

La seconde partie de la recherche, publiée aujourd’hui, se focalise sur la situation en Belgique. Elle vise à estimer les quantités d'Ig dont notre pays devrait pouvoir disposer dans les années à venir en se basant sur les utilisations actuelles et les tendances émergentes, et à formuler des recommandations pour une répartition aussi équitable que possible en cas de pénurie imminente. 

L’équipe de recherche a mis en évidence certains problèmes importants à régler en priorité. Ainsi par exemple, la Belgique ne dispose pas d'un enregistrement centralisé de l'utilisation des Ig, ni d’une vision claire des affections pour lesquelles elles sont utilisées. Il est donc difficile, sur une telle base, d’estimer les besoins à venir. Et ce d’autant plus qu’il semble que certaines Ig sont utilisées ‘hors remboursement’. Aucune donnée officielle n’existe à ce sujet, et le KCE a dû s’appuyer sur des sources indirectes pour tenter de cerner cette part du marché. 

De plus, en période de pénurie potentielle, il est impératif d’avoir accès à des données transparentes sur les stocks disponibles auprès des firmes productrices, des grossistes et des hôpitaux. 

Mettre en place un tel monitoring centralisé nécessitera de régler d’importants aspects juridiques et pratiques, mais c’est un premier pas décisif indispensable. 

Moduler la consommation 

Une autre série de recommandations vise à optimaliser l’utilisation des Ig, par exemple en donnant la priorité à certaines maladies gravissimes en cas de pénurie. On peut pour cela se baser sur l’exemple d’autres pays qui ont déjà fait le même exercice (France, Angleterre). Une telle approche s'inscrit évidemment dans un exercice de réflexion éthique, que chaque pays doit mener à sa manière.

Le KCE recommande également que les médecins continuent leurs efforts d’économie dans l’utilisation des Ig, par exemple, en vérifiant régulièrement qu’un traitement en cours est toujours efficace / nécessaire, et en l’interrompant dans le cas contraire (ce qui est d’ailleurs déjà mentionné dans les critères de remboursement actuels). Ou encore en recherchant, pour chaque patient, la dose minimale efficace (car des données récentes indiquent que, pour certaines maladies, des doses plus faibles sont parfois aussi efficaces que des doses plus élevées). 

Toutes ces mesures devront être communiquées clairement et largement à toutes les personnes concernées : médecins prescripteurs, pharmaciens (d’officines et d’hôpitaux) et, bien sûr, patients. C’est donc un effort conjoint qui est nécessaire, mais il est indispensable si l’on veut garantir que, même en période de pénurie, ces médicaments continuent à parvenir à ceux qui en ont le plus besoin.