30 jan 2025 01:00

Un rôle accru du monde académique dans le développement de médicaments très complexes ?

Les médicaments de thérapie avancée (ATMP, Advanced Therapy Medicinal Products) sont des thérapies complexes basées sur des cellules, des gènes ou des tissus. À l’heure actuelle, ils sont surtout développés et utilisés pour le traitement de certaines formes de cancer ou de maladies génétiques. Les ATMP actuellement commercialisés par l’industrie sont peu nombreux et souvent proposés à un coût élevé, pouvant atteindre plusieurs millions d’euros par traitement. À la demande de plusieurs associations belges de lutte contre le cancer, le Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE) a examiné comment optimiser le rôle des universités belges dans ce domaine, dans le but d’améliorer l’accès à ces médicaments pour les patients. Pour atteindre cet objectif, il sera indispensable que les acteurs académiques et les autorités disposent d’une expertise de pointe et collaborent de façon plus étroite. Par ailleurs, sachant que le développement de tels produits peut s’étendre sur de nombreuses années, il faut que le financement couvre une période suffisamment longue et soit moins fragmenté.

Les ATMP sont des médicaments complexes basés sur des cellules, des gènes ou des tissus, utilisés entre autres dans le traitement du cancer ou de maladies génétiques. Il s’agit d’un secteur prometteur, car on espère que ces produits pourront un jour être utilisés contre toute une série d’autres maladies aujourd’hui incurables. Bien souvent, les premières étapes de la recherche sont réalisées par les universités ; les phases ultérieures du développement, la demande d’autorisation de mise sur le marché et la commercialisation proprement dite sont toutefois le plus souvent prises en charge par l’industrie.

L’accès aux ATMP souvent difficile pour les patients

Il y a un peu plus de 5 ans, la Belgique entière a découvert l’histoire de la petite Pia, atteinte d’une maladie génétique rare affectant ses muscles. La thérapie génique susceptible de lui sauver la vie, le Zolgensma® de la firme Novartis, était extrêmement chère (1,9 million d’euros) et ne bénéficiait pas encore à l’époque d’un remboursement de l’INAMI. C’est finalement une campagne de crowdfunding lancée par les parents qui a permis de réunir les fonds nécessaires. Entre-temps, le Zolgensma® est remboursé en Belgique pour les enfants de moins de deux ans.

Des traitements innovants comme le Zolgensma® ont suscité à l’époque une attention considérable. D’autres ATMP, comme les thérapies CAR-T utilisées contre le cancer, sont toutefois confrontés aux mêmes défis : un prix extrêmement élevé, une technologie complexe, un nombre de patients souvent limité et une difficulté à générer des preuves cliniques suffisantes, en particulier concernant les effets à long terme.

Pour certains ATMP, peu ou pas intéressants d’un point de vue commercial, l’industrie ne veut tout simplement pas investir. Néanmoins, même lorsqu’un ATMP suscite initialement l’intérêt d’une firme, il arrive qu’il soit retiré du marché par la suite, le plus souvent pour des raisons similaires. C’est ce qui s’est produit pour 7 des 27 ATMP ayant obtenu une autorisation de mise sur le marché dans l’Union européenne. En Belgique, moins de la moitié des ATMP autorisés dans l’UE sont effectivement disponibles, et ils sont tous remboursés dans le cadre d’accords confidentiels (le prix convenu entre la firme et l’INAMI n’est donc pas rendu public).

Le développement académique en augmentation

Le KCE a examiné comment les institutions académiques pourraient jouer un rôle plus important dans le développement et la mise à disposition des ATMP pour les patients, par le biais d’études cliniques, d’une préparation hospitalière (exemption hospitalière) ou d’une éventuelle commercialisation. La Belgique pourrait s’inspirer pour cela des précédents qui existent déjà aux Pays-Bas ou en Espagne, où des équipes académiques ont développé un produit qu’elles sont actuellement en train de lancer sur le marché. Récemment, une grande fondation caritative italienne a aussi décidé de reprendre la commercialisation d’un ATMP abandonné par l’industrie.

Un nombre limité d’études cliniques académiques en Belgique

Si de nombreuses études portant sur des ATMP sont actuellement en cours en Belgique, celles qui sont initiées directement par les institutions académiques sont beaucoup plus rares. Le soutien financier pour ces études académiques provient principalement de l’UE, des entités fédérées ou d’organisations sans but lucratif (comme la Fondation contre le Cancer ou Kom op tegen Kanker en Flandre).

Une exemption hospitalière permet au développeur d’un ATMP, moyennant le respect de conditions très strictes, de mettre son produit à la disposition des patients individuels d’un hôpital sans devoir passer par la procédure complexe d’autorisation de mise sur le marché européenne. Depuis l’introduction de cette possibilité, en 2017, cette piste n’a toutefois suscité que peu d’intérêt dans notre pays : l’Agence Fédérale des Médicaments et des Produits de Santé (AFMPS) n’a jusqu’ici accordé qu’une seule exemption hospitalière, à une spin-off commerciale. Les universités et l’AFMPS semblent en effet interpréter différemment les conditions pour bénéficier d’une exemption hospitalière, les acteurs académiques étant convaincus que celles-ci sont quasi impossibles à remplir.

Des compétences et un financement morcelés

Le KCE a réalisé une analyse de la littérature scientifique et d’exemples étrangers, ainsi qu’une consultation de stakeholders belges. Il apparaît qu’un certain nombre de difficultés freinent ou entravent actuellement le développement des ATMP académiques.

Ainsi, l’expertise nécessaire semble extrêmement fragmentée, tout comme les compétences et les raisons qui motivent l’octroi d’un financement. Le financement public accordé par les entités fédérées vise par exemple surtout à booster l’économie, l’emploi et la recherche, et ne tient pas structurellement compte des besoins en matière de santé publique.

Conditions pour soutenir efficacement les ATMP académiques

Le KCE propose un certain nombre de pistes pour rendre plus efficace le soutien apporté au développement académique d’ATMP en Belgique.

Il existe un besoin manifeste de moyens financiers stables, suffisants et moins morcelés disponibles sur une période suffisamment longue. Ces moyens peuvent être octroyés par le gouvernement fédéral et les entités fédérées, pour autant que ces acteurs définissent des priorités communes, examinent soigneusement la faisabilité du projet et s’assurent de ne pas contrevenir aux règles de l’UE en matière d’aides d’État.

Par ailleurs, en cas de partenariat avec l’industrie, il faut envisager de prévoir des garanties que le fruit de recherches financées par les autorités restera disponible et financièrement abordable pour la société.

En ce qui concerne les règles en matière d’exemption hospitalière, qui sont actuellement en cours de révision au niveau de l’UE, le KCE plaide en faveur d’une harmonisation accrue entre les États membres, qui fixent encore aujourd’hui leurs propres conditions. Au niveau belge, le KCE recommande que l’AFMPS publie sur son site internet l’interprétation concrète des conditions à remplir et qu’il encourage activement le recours à la possibilité, pour les universités, de bénéficier de concertations informelles avant l’introduction d’une demande.

Au-delà de la question du financement, tant les autorités que les acteurs académiques sont également confrontés au besoin d’une expertise translationnelle plus regroupée et accessible, ainsi que d’une collaboration accrue.