05 avr 2022 00:01

Vers un droit à l’oubli plus nuancé pour le cancer du sein ?

Il est parfois difficile pour des personnes qui ont eu un cancer par le passé, ou qui souffrent de certaines maladies chroniques, de contracter une assurance solde restant dû, par exemple pour l’obtention d’un crédit hypothécaire. La loi dite « de droit à l’oubli » permet de faciliter l’accès à ces assurances après un certain délai (généralement de 10 ans pour les cancers), et à certaines conditions. Deux listes mentionnant les maladies concernées ont été établies dans ce cadre. Afin de tenir compte de l’évolution des progrès de la médecine, ces listes, ou « grilles de référence » doivent être régulièrement réévaluées. Le Centre Fédéral d’Expertise des Soins de santé (KCE) a été chargé de cette réévaluation. Son premier exercice porte sur le cancer du sein aux stades précoces. Sur la base d’une analyse minutieuse des courbes de survie de ce type de cancer, les chercheurs du KCE ont émis des propositions de raccourcissement du délai d’attente qui concerneraient potentiellement environ une femme sur deux atteintes d’un cancer du sein. 

Qu’est-ce que le « droit à l’oubli » ? 

Les personnes atteintes d’une maladie chronique ou qui ont été traitées pour un cancer peuvent rencontrer des problèmes lorsqu’elles doivent souscrire une assurance solde restant dû pour un crédit hypothécaire (ou un crédit professionnel). En effet, lors de l’attribution d’une telle assurance, l’assureur se renseigne sur l’état de santé de l’emprunteur et si cet état de santé inspire des craintes quant à la durée de sa survie – et donc de sa capacité à rembourser la totalité de son emprunt – le contrat peut être refusé, ou majoré d’importantes surprimes. Pour ces personnes, dites « à risque de santé aggravé », l’accès à la propriété d’un bien immobilier peut alors devenir très difficile voire impossible. 

Plusieurs pays européens ont pris des dispositions pour faciliter l’accès de ces personnes à l’assurance solde restant dû. En Belgique, la loi du 4 avril 2019 instaure un « droit à l’oubli » : les personnes qui sont déclarées guéries depuis au moins 10 ans d’une affection cancéreuse peuvent souscrire une assurance solde restant dû sans devoir payer une surprime liée à leurs antécédents de santé. Deux grilles de référence annexes à cette loi prévoient même des modalités plus « soft » pour certains cancers et maladies chroniques : des délais inférieurs à dix ans, une surprime plafonnée, voire une interdiction de refus d’assurance. La loi prévoit également que ces grilles de référence doivent être régulièrement réévaluées afin de suivre l’évolution des progrès médicaux. Le KCE a été chargé de cette mission de réévaluation. 

Un appel a été lancé en décembre 2020 pour identifier les pathologies devant être étudiées en priorité. Douze pathologies ont finalement été retenues et classées par ordre de priorité. Les prochains sujets abordés après le cancer du sein – objet du présent rapport – seront le diabète de type 1, le cancer de la thyroïde, le mélanome de stade I et le VIH. 

Un premier rapport sur le cancer du sein 

Le premier rapport sur le droit à l’oubli concerne le cancer (carcinome) du sein in situ ou infiltrant à un stade précoce. Par cancer in situ, on désigne une tumeur qui reste limitée à l’intérieur du tissu où elle a pris naissance.

Par contre, un cancer infiltrant comporte des cellules qui envahissent les tissus environnants ; toutefois, les stades précoces opérables (stades I ou II) envisagés ici ne montrent pas de signes d’envahissement importants des ganglions lymphatiques, et a fortiori pas de métastases. 

Dans le cas du cancer du sein, la grille de référence prévoit actuellement un délai d’attente de 1 an après la fin du traitement pour le cancer in situ et un délai de 10 ans pour tous les autres stades. La question qui se pose est de savoir si ces délais ne sont pas excessifs pour des petites tumeurs sans signes de gravité, et ce d’autant plus qu’elles représentent une proportion importante des cancers du sein diagnostiqués – et traités avec succès – aujourd’hui.  

Un travail minutieux

Les chercheurs du KCE ont travaillé en étroite collaboration avec la Fondation Registre du Cancer, qui collecte et analyse les données de tous les cancers diagnostiqués en Belgique. Le Registre couvre aujourd’hui au moins 98 % de tous les cancers, et plus de 99 % des cancers du sein.

Sur un total de 132 425 diagnostics de cancer du sein (depuis 2007) dans la base de données du Registre du Cancer, des analyses statistiques ont été réalisées sur les données de survie de 93 368 personnes, à savoir 10 452 avec un cancer in situ et 82 916 avec un carcinome de stade I ou II. 

Les chercheurs ont choisi comme indicateur le plus pertinent de la survie (dans le contexte du droit à l’oubli) le « point de guérison statistique », c’est-à-dire le plus court délai depuis le diagnostic où l’on observe que le risque de mortalité des personnes atteintes de cancer est similaire à celui de la population générale de même sexe et de même tranche d’âge. Insistons sur le fait qu’il s’agit donc bien d’une notion statistique, qui s’applique à l’ensemble des patient(e)s et non à l’une ou l’autre personne en particulier. On peut en effet être considéré comme « cliniquement guéri » (en rémission) avant d’avoir atteint le point de guérison statistique. 

Vers une réduction du délai d’attente pour de nombreuses femmes ?

Sur la base des 10 452 cas de cancer in situ recensés, aucune surmortalité n'a été observée jusqu'à 14 ans après la date de diagnostic. Par conséquent, les chercheurs proposent de ne plus imposer de délai d’attente pour les personnes atteintes de ce type de cancers. 
Pour les carcinomes infiltrants de petite taille (appelées T0 ou T1) et précoces (stade I), les courbes de survie se rapprochent de celles de la population générale à partir de 1 an et ce tout au long des 10 années suivantes. Le KCE propose donc d’envisager un délai d’attente de 1 an, au lieu de 10 ans actuellement. 

En tout, si l’on se base sur les chiffres du Registre du Cancer, cette révision des grilles de référence concernerait donc potentiellement environ une femme sur deux chez qui un cancer du sein est diagnostiqué. De plus, le KCE propose de faire compter le délai d’attente à partir de la date du diagnostic plutôt que de la date de fin de traitement comme actuellement. En effet, la date de fin de traitement est difficile à déterminer, alors que celle du diagnostic est généralement très précise. 

Que va-t-il se passer ensuite ? 

Comme le prévoit la loi, le KCE a transmis ces propositions au Bureau du Suivi de la Tarification Assurance solde restant dû, qui devra ensuite les communiquer, assorties de son propre avis, aux autorités politiques compétentes (Secrétaire d’État à la Protection des consommateurs, Ministre des Affaires sociales et Ministre de l’Economie). Ce sont ces derniers qui décideront finalement d’acter ou non ces modifications. 

Pour plus d’infos sur la mission Droit à l’oubli du KCE, voir ICI.