23 jan 2025 01:00

Vers un parcours de soins intégrés pour la démence précoce

Beaucoup moins fréquentes que les démences d’apparition plus tardive, les démences précoces sont aussi associées à des défis qui leur sont propres, tels que la difficulté du diagnostic en présence de symptômes atypiques, l’impact de la maladie sur la vie professionnelle, sociale et familiale, et une offre de soins et de services pensée pour un public plus âgé et donc mal adaptée aux besoins de patients plus jeunes. Il est important que les personnes qui y sont confrontées puissent bénéficier d’un parcours de soins cohérent et intégré. Dans sa nouvelle étude, le Centre Fédéral d’Expertise des soins de santé (KCE) formule des recommandations pour son élaboration concrète. Plutôt que de multiplier les filières, il préconise avant tout d’adapter à ce public spécifique les ressources qui existent déjà pour les formes de démence plus tardives.

Une démence précoce, c’est tout simplement une démence dont les symptômes apparaissent avant l’âge de 65 ans. Elle présente donc de nombreux points communs avec les formes plus tardives de démence, en particulier chez les patients qui sont proches de cette limite d’âge. Ceux-ci sont largement majoritaires : environ 80 % des patients atteints de démence précoce ont entre 55 et 64 ans.

Semblables, mais différentes

Les démences précoces présentent néanmoins certaines spécificités qui justifient qu’on leur accorde une attention particulière.

Ainsi, elle découlent d’un éventail plus large de causes et sont plus souvent déterminées par des facteurs génétiques, en particulier lorsqu’elles surviennent très tôt (avant 45 ans). Leurs premières manifestations aussi sont différentes et plus variables : alors que les troubles de la mémoire sont généralement à l’avant-plan dans la démence tardive, la démence précoce est plus souvent associée à des modifications du comportement ou de la personnalité, et peut dès lors être confondue avec des problèmes psychiatriques. En raison de ce profil atypique, le diagnostic est souvent posé avec plusieurs années de retard.

La démence précoce frappe aussi souvent des personnes qui sont encore dans la vie active, avec un travail, des projets, des enfants à charge ou des parents vieillissants. Plus encore que chez les patients plus âgés, le diagnostic risque d’être un coup dur sur le plan psychologique, pratique et financier, pour les premiers concernés mais aussi pour leurs proches.

Enfin, l’offre de soins et de services est souvent pensée pour un public plus âgé et ne répond donc pas forcément aux besoins des patients plus jeunes ou de leurs (aidants) proches. Il arrive aussi que l’accès à certains services, aides ou remboursements soit soumis à une condition d’âge.

Un parcours cohérent de soins bien intégrés

Tout patient atteint d’une démence précoce devrait avoir accès à un parcours de soins cohérent mettant l’accent sur un diagnostic précoce et sur un accompagnement multidisciplinaire recouvrant un soutien psychologique, une rééducation cognitive, des interventions psychosociales et une adaptation du lieu de vie1, l’objectif étant de préserver le plus longtemps possible l’autonomie et la possibilité de vivre à domicile.

En ce qui concerne le diagnostic, l’équipe du KCE souligne qu’il faut en premier lieu mieux faire connaître la démence précoce et proposer des guides de bonne pratique aux soignants de première ligne, ce qui permettra d’identifier plus rapidement les cas suspectés. Ceux-ci devront ensuite bénéficier rapidement d’un bilan multidisciplinaire pour confirmer le diagnostic.

Passé le stade du diagnostic, les patients atteints de démence précoce devraient systématiquement être orientés vers une clinique de la mémoire2, dont l’accompagnement contribuera à optimiser leur qualité de vie et à leur permettre de vivre à la maison le plus longtemps possible. Il pourrait être souhaitable d’accroître le nombre de cliniques de la mémoire sous convention INAMI (actuellement au nombre de 12) afin d’améliorer la couverture géographique et l’ancrage local de ces structures.

L’accent sur l’inclusivité

Il est important pour le bien-être des patients qu’ils conservent autant que possible une place dans la société et un sentiment d’utilité.

Pour les personnes qui le souhaitent et pour autant que cela soit acceptable pour l’employeur, la poursuite de l’activité professionnelle devrait être soutenue autant que possible, avec des tâches, responsabilités et horaires de travail adaptés en fonction des capacités. Les médecins du travail doivent être familiarisés avec la problématique afin de pouvoir recommander les adaptations nécessaires.

Il est aussi important que ces patients puissent rester physiquement et socialement actifs, et notamment qu’ils aient accès à des interventions psycho-éducatives et psychosociales destinées à leur tranche d’âge.

Un accompagnement personnalisé

L’accompagnement étant susceptible de faire intervenir de nombreux acteurs et institutions, il serait important que le patient et ses proches puissent s’appuyer sur une personne de référence unique (« case manager ») chargée de les accompagner tout au long de leur parcours, de faire le lien avec les soignants, les services sociaux et les services administratifs et d’assurer la coordination et la continuité des soins.

Il est aussi important de veiller à ce que le patient et ses (aidants) proches bénéficient de toutes les aides sociales et financières qui leur sont accessibles (p.ex. aide à domicile, statut officiel d’aidant proche pour le partenaire ou un autre membre de la famille, statut de malade chronique, intervention majorée dans le coût des soins, services de répit pour décharger les proches…). En tant que source d’information privilégiée, le case manager peut jouer un rôle fondamental à cet égard.

Solutions résidentielles temporaires ou permanentes

Même si le scénario idéal est celui où le patient reste vivre à la maison, ce n’est pas toujours possible. Il est donc important de veiller à ce que les personnes atteintes de démence précoce aient aussi accès à des solutions résidentielles adaptées à leurs besoins spécifiques, à titre temporaire (en cas d’indisponibilité des aidants à domicile) ou permanent. Cet accueil peut être organisé dans des structures existantes (maisons de repos et de soins), moyennant le développement d’une offre spécifique pour ce public et l’adaptation des dispositions légales pour permettre l’accueil de personnes de moins de 65 ans, ou dans des structures (encore largement à créer3) offrant un environnement plus proche du domicile privé.

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1 Note: dans la majorité des cas, la démence ne se traite pas, sauf lorsqu’elle est la conséquence directe d’un autre problème (p.ex. consommation excessive d’alcool).

2 Des centres multidisciplinaires qui interviennent dans le diagnostic, la gestion médicale, l’éducation thérapeutique, la réhabilitation cognitive et l’aménagement de l’environnement des personnes atteintes de démence, dans le but de préserver au maximum leur autonomie et leur qualité de vie, et de leur permettre de vivre à la maison le plus longtemps possible.

3 Quelques projets de ce type existent déjà en Flandre sous le nom de « kleinschalig genormaliseerd wonen ».

KCE Reports 395 Infographie