01 Mar 2016 12:18

Fukushima, quels enseignements pour nos centrales nucléaires ?

 Le 11 mars 2011, un tremblement de terre suivi d’un tsunami a touché le Japon, endommageant gravement la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi. De grandes quantités de substances radioactives ont été rejetées dans l’environnement et pas loin de 200.000 personnes ont dû être évacuées. Les conséquences auraient été bien plus graves si le vent n’avait pas soufflé la plupart du temps vers l’océan.

Tirer toutes les leçons

Cette catastrophe a replacé la sûreté du nucléaire au centre des discussions. Ainsi,  toutes les centrales nucléaires dans l’Union européenne ont été soumises à un examen, dénommé « stress-test ».  celui-ci  ne couvrait cependant pas les plans d’urgence externes.

 

Dans cet esprit, le Conseil Supérieur de la Santé (CSS) a procédé à un examen critique du plan d’urgence belge, en tirant les leçons de l’accident de Fukushima et d’autres types d’accidents récents, nucléaires ou non. Cet examen a conduit en mars 2015 à un premier avis  (CSS 9275) sur la protection de la thyroïde (par la prise de comprimés d’iode en cas d’accident). Dans le présent avis, le CSS va plus loin et émet des recommandations sur les actions nécessaires visant à prévenir ou gérer un accident nucléaire. Si l’accent est mis sur le processus de planification d’urgence, le CSS ne peut éviter de placer ses recommandations dans le cadre plus large d’une politique de sûreté nucléaire.

 

Trois points clés

Une première conclusion, essentielle, est qu’il faut prendre conscience que, bien que très peu probable, un accident nucléaire sévère peut vraiment se produire, même dans des pays technologiquement à la pointe, et y compris en Belgique. Toutes les Autorités de sûreté européennes sont arrivées à la même conclusion dans un rapport commun récent (HERCA, WENRA, 2014).

 

Deux autres conclusions fondamentales ont rapport à l’envergure et à la durée des conséquences d’un accident nucléaire sévère, tant sur le plan de la santé (au sens large de l’OMS : physique, mentale et sociale) qu’au plan environnemental et socio-économique. 

 

L’idée que les conséquences d’un accident nucléaire sévère sont limitées aux environs immédiats du site (par exemple une dizaine de kilomètres pour une évacuation) est contredite par l’expérience pratique. Même pour des centrales de conception occidentale, un accident sévère peut avoir des conséquences à grande distance. Ainsi à Fukushima, malgré des circonstances météorologiques favorables, des zones situées à 30 km et plus ont dû être évacuées. A pareille distance, un accident sévère dans une centrale belge ou située à proximité de la frontière pourrait toucher jusqu’à un million de personnes et des territoires abritant d’importantes activités économiques et des nœuds de trafic européen. Par ailleurs, l’accident de Tchernobyl a démontré que  des cancers de la thyroïde peuvent être provoqués, à des distances de 100 km et plus, dans les populations sensibles (fœtus, enfants) par l’iode radioactif rejeté lors d’un accident nucléaire.

 

Par ailleurs, les conséquences de tels accidents peuvent durer de très nombreuses années et rendre certaines zones inhabitables pendant plusieurs générations : il faut 30 ans pour que la radioactivité du principal contaminant (Césium 137) dans l’environnement diminue de moitié. Le tissu social et économique des régions touchées serait gravement perturbé pour des dizaines d’années, avec les conséquences psychosociales qui en découlent et qui ont été observées tant à Tchernobyl qu’à Fukushima (symptômes de stress, dépressions, suicides, etc.). Celles-ci se surajoutent aux effets sanitaires à court, moyen et long termes liés directement à l’exposition aux radiations ionisantes : cancers de différents types (particulièrement chez les enfants exposés), pouvant survenir rapidement (leucémies) mais souvent des décades plus tard, effets héréditaires dans la descendance, dommages à l’embryon et au fœtus, cataractes, affections cardio-vasculaires, etc.).

 

L’essentiel des recommandations du Conseil

La planification d’urgence n’est que la dernière étape d’une politique de sûreté nucléaire. L’analyse de risque doit être élargie, en  particulier aux facteurs fondamentaux de risque sous-jacents, et approfondie en vue d’aiguiser la politique de sûreté nucléaire, également dans le cadre de révisions des autorisations et des conditions d’implantation.

 

Le CSS souligne dans ce cadre la nécessité de réaliser des analyses approfondies de vulnérabilité et d’en tirer les leçons au niveau de la sûreté et de la planification d’urgence. Une analyse de vulnérabilité vise à identifier tous les éléments qui peuvent jouer un rôle aggravant au cours d’un accident. Par exemple : la présence d’autres activités industrielles, les infrastructures de transport, l’impact sur des groupes de populations vulnérables (évacuation d’hôpitaux et de maisons de repos), l’approvisionnement énergétique, etc. Une telle analyse doit également envisager des scénarios très improbables mais aux conséquences lourdes.

 

Par ailleurs le CSS recommande l’élargissement des zones de planification : 20 km au moins pour l’évacuation, 100 km au moins pour la distribution rapide d’iode non radioactif aux populations cibles, ainsi que pour la mise à l’abri. Il recommande aussi l’élaboration de stratégies de réhabilitation à long terme, visant à reconstruire le tissu social et économique des zones sinistrées. 

Tout accident sévère aura donc une dimension internationale ce qui nécessite de renforcer les accords et coordinations au niveau bilatéral et européen.

 

Actuellement, les décisions  sont prises dans un cercle restreint d’experts nucléaires et de décideurs. La communication avec le public a encore souvent un caractère unilatéral d’information. Le CSS prône un processus de communication transparent et structuré (comme il en existe en France par exemple) sur les questions de sûreté nucléaire et sur les processus de planification d’urgence. Tous les acteurs concernés, dont la population, doivent y participer dans un cadre légal. Une telle approche participative améliore la qualité des analyses de vulnérabilité, met en lumière les préoccupations des citoyens et permet aux populations de réagir en connaissance de cause en cas d’accident. Les nouveaux media sociaux devraient être intégrés dans  cette démarche.

 

Les questions sur le développement de l’énergie nucléaire, sur la sûreté des installations nucléaires et sur les conséquences d’un accident sont complexes et s’accompagnent d’incertitudes. Ces questions touchent inévitablement à des valeurs humaines qui sont appréciées de façon divergente dans la société. Dans ce contexte, le CSS prône une stratégie de précaution. Celle-ci implique de tirer lucidement les leçons des accidents passés, en intégrant des étendues territoriales et des durées de crise réalistes, ainsi qu’un impact européen transfrontalier, et en examinant en détail tous les scénarios possibles, y compris les moins probables, et les vulnérabilités. Une telle approche suppose que tous les intéressés et la population en général soient concernés d’une manière ouverte. Cette stratégie exige aussi que les organes chargés de la surveillance soient, de façon réelle et contrôlable, indépendants des exploitants et des gestionnaires politiques, avec la nécessaire transparence sur les conflits d’intérêts. Dans ce but, le Conseil encourage de compléter au niveau européen la surveillance nucléaire nationale et d’évoluer vers la création d’une Autorité de sûreté européenne au sein de l’Union européenne.

 

L’avis, dans son intégralité, (n°9235) se trouve sur le site internet du Conseil Supérieur de la Santé: http://tinyurl.com/CSS-9235-fukushima .

L’avis précédent,  (n°9275), se trouve sur le site internet du Conseil Supérieur de la Santé: http://tinyurl.com/CSS-9275-Fukushima .

 

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- FR: Patrick Smeesters, tél.: 01/086.04.90, GSM : 0475/72.54.44, e-mail : patricksmeesters@hotmail.be

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