Le syndrome post-soins intensifs, facette méconnue de la pandémie
L’épidémie de COVID braque actuellement tous les projecteurs sur les soins intensifs et les chiffres de mortalité. Mais une fois revenus chez eux, les patients qui auront traversé cette épreuve ne seront pas toujours au bout de leurs peines. Et leurs médecins généralistes non plus. En effet, on doit aussi envisager la possibilité d’une vague de « syndromes post-soins intensifs ». Assez mal connu du grand public, mais aussi du monde de la santé, ce syndrome comporte à la fois des manifestations physiques, psychologiques et cognitives. Il peut apparaître chez plus de la moitié des personnes hospitalisées en soins intensifs pour un problème grave (pas seulement en cas de COVID-19). Le Centre fédéral d’Expertise des Soins de santé (KCE) publie aujourd’hui un rapport destiné à attirer l’attention des médecins généralistes sur ce problème qui passe souvent au second plan une fois la vie sauvée. Et il leur propose quelques tests pratiques pour en détecter les premiers signes le plus tôt possible.
Une hospitalisation en soins intensifs est un événement hors du commun, où la vie suspend son cours normal et où l’organisme défaillant est soutenu par différentes machines et médicaments. Les soins intensifs ont fait des progrès considérables ces dernières décennies, et ont permis de sauver de nombreuses vies. Mais les hommes et les femmes qui traversent cette épreuve restent des humains, avec toute leur fragilité. Il n’est donc pas étonnant que cela laisse des traces durables chez certains. Des traces qui sont dorénavant rassemblées sous la dénomination « syndrome post-soins intensifs » – ou PICS en anglais (pour post-intensive care syndrome). Le PICS peut toucher plus de la moitié des patients qui ont séjourné en soins intensifs (USI) pour un problème grave, surtout s’ils avaient déjà des problèmes de santé auparavant.
Depuis que l’épidémie de COVID-19 a affolé la planète et mis le système de santé sous pression, de nombreuses personnes ont été admises en USI, ce qui pourrait faire augmenter à son tour le nombre de PICS dans les mois à venir. C’est pour cette raison que le Centre fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE) publie aujourd’hui un rapport principalement destiné aux médecins généralistes. « En effet, à l’heure actuelle, les problèmes liés au PICS ne sont pas souvent identifiés en Belgique. Non seulement il est peu connu du monde médical et du grand public, mais les patients qui ont séjourné aux soins intensifs ne font pas l’objet d’un suivi systématique après leur sortie », explique le Dr Germaine Hanquet, responsable de cette étude. « Et puisque la plupart des patients qui ont séjourné aux soins intensifs seront tôt ou tard en contact avec leur médecin généraliste, ce rapport a été rédigé – dans une certaine urgence – à leur attention. Nous sommes bien conscients de leur surcharge actuelle de travail, mais il est un fait qu’ils seront aussi très souvent en première ligne pour détecter les signes de PICS et organiser une prise en charge. »
Une faiblesse musculaire extrême
Le PICS peut comporter trois types de symptômes. Les premiers à se manifester sont les symptômes physiques, qui sont déjà présents au moment de la sortie des soins intensifs. Le problème principal est une faiblesse musculaire extrême, observée chez environ 40% des patients. Cette faiblesse n’est pas simplement due à une immobilité prolongée mais à une véritable atrophie musculaire liée à un contexte inflammatoire aigu. Elle régresse dans le courant de la première année pour une majorité des cas.
Pertes de mémoire et autres problèmes cognitifs
Les problèmes de type cognitif (ou l’aggravation de problèmes préexistants) peuvent survenir chez 20-40% des patients. Typiquement, il s’agit de pertes de mémoire, de difficultés à s’exprimer verbalement, de troubles de l’attention et de difficultés dans les fonctions exécutives (planification, gestion du temps, exécution de deux tâches simultanées, etc.). Ces problèmes cognitifs peuvent persister plusieurs années.
Dépression, angoisse et stress post-traumatique (aussi pour les proches)
Enfin, des symptômes psychologiques tels que l’anxiété ou la dépression peuvent apparaître chez 20 à 35% des patients dans les mois qui suivent la sortie d’hospitalisation et peuvent persister longtemps. Des patients expriment que, parmi les conséquences d’une hospitalisation en USI, c’est l'impact psychologique qui est le plus invalidant. Nombreux sont ceux qui rapportent que le retour à la vie quotidienne est une phase émotionnellement difficile et stressante.
Environ 20% des patients développent même un véritable syndrome de stress post-traumatique, avec irruption de souvenirs traumatisants, de cauchemars, et de flashbacks, ainsi que des comportements d’évitement des situations leur rappelant l'USI. Ces symptômes peuvent aussi apparaitre tardivement et persister plusieurs années.
Ces problèmes psychologiques peuvent également se manifester chez 20 à 50 % des proches de patients (on parle alors de PICS-F, pour Family), qui ont eux aussi traversé une période extrêmement stressante. Un stress qui peut se prolonger lorsque le patient revient à la maison, car ils sont alors souvent amenés à endosser un rôle de soignant et de soutien, qui peut s’avérer très lourd.
Un syndrome à côté duquel il ne faut pas passer
Outre le fait que le PICS soit de découverte récente (on trouve ce nom pour la première fois dans la littérature scientifique en 2012) et qu’il soit encore peu connu dans le monde médical, d’autres facteurs concourent à ce qu’il passe inaperçu.
En effet, après la sortie de l’hôpital, l’attention est généralement focalisée sur la pathologie de départ (grave par définition) et sur l’état physique du patient. Les symptômes cognitifs et psychologiques peuvent alors passer au second plan et le lien avec le séjour en soins intensifs n’est pas toujours établi. Par ailleurs, les patients atteints de stress post-traumatique qui adoptent des comportements d'évitement hésitent à consulter, voire même évitent tout contact avec le monde médical. Leur problème peut dès lors rester longtemps ignoré des soignants. Quant au PICS-F, encore moins connu que le PICS, il risque d’autant plus de rester non diagnostiqué et non pris en charge.
Pour aider les médecins généralistes à reconnaitre ces problèmes, le KCE a mené des recherches dans la littérature internationale pour identifier quelques outils faciles et rapides leur permettant de se faire une idée, en moins de dix minutes, de la situation de leurs patients sortis de soins intensifs. Il propose un ensemble de six tests rapides et pratiques, faciles à réaliser au cabinet ou au domicile du patient. Suite à ce dépistage rapide, le généraliste pourra ensuite référer au spécialiste concerné.
Le PICS ne doit pas être confondu avec le « COVID long » dont on parle également de plus en plus, et qui est pour sa part spécifique à l’atteinte par le coronavirus (alors que le PICS concerne tous les patients ayant fait un long séjour en USI, quelle qu’en soit la raison).
Comment soigner le PICS ?
À l’heure actuelle, les preuves scientifiques de l’efficacité des interventions sont limitées. En Belgique, l’offre de soins de santé n’est pas toujours adaptée aux besoins de ces patients et aucune prise en charge structurelle n’est prévue. Quelques équipes de soins intensifs proposent des consultations de suivi mais il s’agit d’initiatives isolées et débutantes.
La kinésithérapie et les centres de revalidation sont actuellement le recours le plus ‘logique’, du moins pour la prise en charge des aspects physiques ; la plupart des revalidations intègrent également la prise en charge des éventuels problèmes cognitifs associés. Pour des problèmes cognitifs isolés, le médecin généraliste aura intérêt à demander une évaluation par un neuropsychologue afin de prévoir une rééducation ciblée. La dépression et l’anxiété sont des problèmes qu’il connaît bien, mais le syndrome de stress post-traumatique est plus complexe et requiert souvent une prise en charge spécifique.
Les groupes d’entraide pour ex-patients et leurs proches (rencontres physiques ou plateformes en ligne) sont une forme de soutien qui est souvent décrite comme bénéfique par les participants. Ils sont assez répandus aux Pays-Bas et dans les pays anglo-saxons mais pas encore en Belgique, sauf exceptions.
Une pratique inédite : le journal de bord
En Scandinavie, les équipes de soins intensifs rédigent souvent des ‘journaux de bord’ pour leurs patients, parfois conjointement avec les familles. Certaines études à ce sujet semblent montrer un effet bénéfique, notamment sur les symptômes psychologiques. En effet, les patients décrivent souvent un besoin de combler a posteriori les ‘trous noirs’ dans leurs souvenirs et de mieux comprendre ce qu’il s’est passé pendant leur séjour en USI. Les journaux de bord ne sont pas très répandus en Belgique, mais le KCE prévoit de poursuivre les recherches sur la prévention du PICS dès les soins intensifs et l’efficacité de ces instruments fera assurément partie des points investigués.
Des mesures de soutien pour le retour au travail
Enfin, qu’il s’agisse du PICS ou du PICS-F, il faut également prendre en compte ses répercussions sociales et financières, qui peuvent être très lourdes. En effet, 40 % de ceux qui travaillaient avant leur maladie n’étaient pas retournés au travail un an après la sortie de l’hôpital et ce chiffre stagne aux alentours de 32 % après 4 ou 5 ans. Ceux qui reprennent le travail sont souvent confrontés à des pertes d'emploi, des changements de poste ou de profession, ou des réductions de leurs heures de travail. Il en va de même pour les proches, surtout lorsqu’ils ne peuvent maintenir leur activité professionnelle pendant et après la maladie du patient.
Les employeurs devront être sensibilisés aux conséquences d’un séjour en soins intensifs et à l’existence du PICS. Quant aux médecins généralistes, ils pourront activer différentes modalités offertes par la récente réforme de la médecine du travail, qui met le focus sur l’aide au retour au travail et à l’adaptation des milieux professionnels pour faciliter la réinsertion (visites de pré-reprise, trajets de réintégration).
Le KCE continue son travail sur le PICS, cette fois en se penchant sur les moyens de prévention à mettre en œuvre dès le séjour en soins intensifs. Ce nouveau rapport devrait être publié en 2021.