L'énergie nucléaire est-elle compatible avec le développement durable ? Résultats d’une analyse multidisciplinaire.
Dans les prochaines semaines, une décision sera prise sur la sortie du nucléaire en Belgique. L’énergie nucléaire et sa faible empreinte de CO2 est régulièrement présentée comme une alternative idéale aux combustibles fossiles dans la production d’électricité. La réalité est cependant bien plus complexe. Dans ce rapport, le Conseil Supérieur de la Santé (CSS) s’est penché sur les défis d’ordre éthique, sanitaire et environnemental soulevés par l’énergie nucléaire ainsi que sur son rôle potentiel dans un futur mix énergétique durable. Il a ensuite évalué ces aspects en fonction de critères plus larges pour les générations futures.
Aucune solution durable pour les déchets nucléaires
A l’heure actuelle, un point faible important et incontournable de l’énergie nucléaire est le devenir des déchets radioactifs de très longue durée de vie et leur impact potentiel sur les générations futures, y compris leur santé. Le stockage géologique profond (enfouissement des déchets dans un sous-sol stable) leur impose la charge de surveiller et maintenir les connaissances nécessaires pendant très longtemps, peut-être des milliers d’années. Les technologies reposant sur un recyclage permanent des combustibles usés associé ou non à leur transformation en déchets de moins longue durée de vie (un processus appelé transmutation) ne sont pas une solution pour les déchets radioactifs actuels et produiront de nouveaux types de déchets.
Pas de risque zéro
Une catastrophe nucléaire, qu’il s’agisse d’un accident ou d’un acte militaire ou terroriste, ne peut jamais être totalement exclue, même avec les meilleures centrales nucléaires. Ses conséquences sont susceptibles de s’étendre au-delà des frontières, de persister dans le temps et d’engendrer des coûts énormes. Or, la proximité des sites nucléaires de grandes villes et d’axes de trafic international, le réseau routier saturé et la densité de la population entrainent une vulnérabilité particulière pour la Belgique.
Il existe par ailleurs un lien clair et un passage facile entre les programmes nucléaires civils et militaires. Si une arme nucléaire venait à exploser, notre pays ne serait pas en mesure de faire face à une telle crise. C'est pourquoi le CSS l’encourage vivement à signer la convention de l’ONU sur l'interdiction des armes nucléaires, seule façon d’éviter une telle catastrophe.
Enfin, ces dernières années, de nouvelles données relatives aux effets de l’exposition aux rayonnements ionisants sont apparues, avec un impact potentiel sur la santé, en particulier celle des enfants présents et à naître, et cela même à faible dose. Une approche de précaution s’impose.
Energie nucléaire et durabilité
Le CSS conclut donc que, telle que déployée actuellement, l’énergie nucléaire de fission ne peut pas prétendre satisfaire aux principes du développement durable sur le plan environnemental, éthique et sanitaire.
Même si certaines évolutions en cours (comme les petits réacteurs modulaires) pourraient créer des perspectives futures, elles ne constituent en tout cas pas une solution aux choix actuels à réaliser.
Accélérer et intensifier la transition
Les études menées entre autres par le Bureau fédéral du Plan montrent que l’arrêt des centrales nucléaires est possible pour la Belgique, pour un coût relativement limité, y compris en termes d’impact CO2. Le CSS estime qu’il y a des arguments pour et contre la prolongation éventuelle de 2 réacteurs nucléaires au-delà de 2025, mais pas d’éléments marquants qui imposeraient un choix dans un sens ou dans l’autre. Chaque option présente des risques aux implications différentes.
Quelle que soit la décision, la transition nécessitera une détermination politique ferme visant à assurer aussi rapidement que possible les développements technologiques et industriels nécessaires, notamment dans le domaine du stockage de l’énergie et du CO2, de la gestion du réseau, et de l’utilisation d’hydrogène. Par ailleurs, la plus grande partie des émissions de gaz à effet de serre provient, non pas de la production d’électricité (à peine 14 % du total), mais du chauffage des bâtiments, du transport et des industries. Des efforts importants et des investissements sélectifs seront donc également nécessaires dans ces secteurs.
Maintenir l’expertise et une Agence fédérale de contrôle nucléaire forte
Après l’arrêt (immédiat ou progressif) des centrales nucléaires, des risques liés à la sûreté nucléaire persisteront. Des contrôles et la prise de mesures resteront nécessaires, notamment au niveau de la gestion et l’entreposage temporaire des déchets nucléaires, mais aussi des installations de recherche nucléaire, des sources industrielles et médicales, de leur production et de leur transport, ainsi que du démantèlement des installations nucléaires. Il importera de maintenir une expertise nucléaire suffisante et un financement adéquat de l’Agence fédérale de contrôle nucléaire, dont le caractère fédéral doit être conservé.
Eviter de nouveaux déséquilibres : réinventer les modes de vie
La nécessaire transition énergétique doit rester compatible avec les principes du développement durable et ne pas conduire à de nouveaux déséquilibres et risques. Cela ne sera possible qu’en remettant en cause le paradigme de la croissance illimitée. Il faudra oser réfléchir à de nouveaux systèmes économiques non liés à la consommation et favoriser des changements de mode de vie socialement justes et positifs.
L’avis, dans son intégralité, (CSS_9576) se trouve sur le site internet du Conseil Supérieur de la Santé :
Avis 9576 - Risque nucléaire, développement durable et transition énergétique