25 avr 2017 07:44

Les professionnels de la santé ont besoin de balises plus claires pour leur pratique

Face à la complexification de la médecine et des soins en général, les professionnels de la santé doivent aujourd’hui faire appel à des « guides de pratique clinique » (ou guidelines) pour baliser leurs pratiques quotidiennes. Il s’agit de « résumés » critiques, régulièrement remis à jour, des connaissances médicales les plus récentes validées par la communauté scientifique internationale. Le Centre fédéral d’Expertise des Soins de santé (KCE) a mené une étude sur l’utilisation de ces guidelines dans notre pays, et émet quelques pistes pour les rendre plus attractifs et plus pratiques à l’emploi. 

La médecine – et les soins de santé en général – deviennent de plus en plus complexes et évoluent de plus en plus vite. À titre d’exemple, Medline, la célèbre base de données de la National Library of Medicine (USA) s’enrichit tous les jours de plus de 2000 nouvelles publications. Comment les professionnels de la santé se retrouvent-ils dans cette masse d’informations ? Grâce à des outils appelés « guides de pratique clinique », « recommandations de bonne pratique » ou, en abrégé anglicisant, « guidelines ». Toutes les professions de santé y font appel aujourd’hui, partout dans le monde. Ou plutôt, sont censés y faire appel pour garantir une qualité des soins optimale. Mais il y a parfois un fossé entre la théorie et la pratique.

Une enquête pour cerner les usages en Belgique

Le KCE – lui-même auteur de guidelines – avait déjà mis en avant un certain manque d’intérêt des prestataires de soins belges pour les guidelines. Il a donc été décidé de mener une réflexion de fond sur le sujet. Une vaste enquête a été lancée en septembre 2016 auprès des professionnels de santé belges (médecins, infirmiers, sages-femmes et kinésithérapeutes) pour voir s’ils utilisent les guidelines, dans quelle mesure ils les apprécient et comment ils souhaitent les voir améliorés. Les pratiques dans sept autres pays européens ont également été analysées.
Des 2500 réponses valables recueillies lors de cette enquête, il ressort que 87% des médecins, 68% des kinésithérapeutes, 67% des infirmiers et 61% des sages-femmes font un usage régulier des guidelines. Toutefois, ils sont nombreux à éprouver des difficultés à les trouver quand ils en ont besoin. L’enquête a également permis de cerner les raisons pour lesquelles certains praticiens ne les utilisent pas, et d’identifier les facteurs qui les inciteraient à les utiliser davantage. 

Les résultats détaillés de l’enquête peuvent être trouvés ici

Développer des guidelines : une procédure très codifiée

Rédiger un guideline est une opération qui se fait selon une méthodologie très stricte et internationalement validée. En effet, les enjeux sont immenses : préconiser l’usage de telle classe de médicaments, de tel type de pansement, ou de tel appareillage, sont des recommandations qui peuvent influencer radicalement le devenir de très nombreux patients. Il n’est donc pas question (théoriquement) de laisser des intérêts particuliers entrer en jeu, ni de suivre l’opinion d’un spécialiste, si éminent soit-il, seulement parce qu’il est persuadé du bien-fondé de sa pratique.
Il faut au contraire analyser l’ensemble des publications parues dans la littérature scientifique internationale, sélectionner celles qui sont au-dessus de tout soupçon et en analyser le contenu selon des procédures codifiées et enfin rédiger des recommandations dans un langage clair, non équivoque et compréhensible par tous les utilisateurs potentiels.

Des outils de soutien pratiques pour les prestataires de soins

Mais cela ne suffit visiblement pas. Pour véritablement augmenter l’« applicabilité » des guidelines, il faut fournir aux praticiens surchargés des résumés pratiques à lire, des « arbres de décision » faciles à utiliser, etc. Les nouvelles technologies offrent ici de nouvelles opportunités, comme par exemple des applications informatiques ; le KCE en a lancé une en janvier dernier pour déterminer les examens à prescrire à un patient (ou pas) avant une intervention chirurgicale http://preop.kce.be/. Le nec plus ultra, ce sont les evidence-linkers, sortes de « pop-ups » qui apparaissent dans le dossier médical informatisé en fonction des caractéristiques du patient pour informer le praticien de l’attitude et/ou des actions spécifiques indiquées dans son cas précis.

Il est également important de mettre à la disposition des praticiens des outils facilitant la communication avec les patients, pour leur permettre de dialoguer avec eux sur les options de traitements qui leur sont proposés et faciliter ainsi une « prise de décision partagée ». Le suivi des recommandations de bonne pratique ne dispense en effet jamais le praticien de son sens clinique et de l’écoute du patient. Les soins de qualité sont un savant dosage de ces trois ingrédients.

Une question de confiance dans les auteurs des guidelines.

Un autre facteur critique pour l’usage des guidelines est la confiance dans l’organisme qui les produit. On remarque en effet – et ceci est confirmé par l’enquête menée auprès des professionnels de santé belges – que les prestataires de soins ont tendance à privilégier les guidelines émanant de leur propre institution ou société scientifique (locale, nationale ou internationale). Il serait donc intéressant d’évoluer vers une collaboration plus étroite entre experts en méthodologie (par exemple le KCE) et sociétés scientifiques, pour le développement futur des guidelines.

Vers un Plan global pour une plus grande cohérence

Depuis l’initiation de cette étude du KCE, un élément nouveau est venu s’ajouter au tableau, à savoir la décision prise par la ministre Maggie De Block de lancer un plan global pour rassembler et coordonner toutes les initiatives de production et de dissémination de guidelines belges existantes en un seul réseau cohérent. Actuellement, en effet, les acteurs qui produisent des guidelines sont nombreux et, même si les recommandations émises sont généralement de bonne qualité, l’image d’ensemble est assez incohérente : il est difficile de comprendre qui fait quoi.

Le futur plan pourra notamment s’appuyer sur une initiative déjà en place : EBMPracticeNET. Il s’agit d’une plateforme financée par l’INAMI, qui centralise les guidelines belges existants (ainsi que les guidelines étrangers adaptés au contexte belge), et qui incorpore les recommandations dans les dossiers médicaux électroniques (contextual aids, evidence linkers). EBMPracticeNET est accessible à tous les professionnels de la santé travaillant en Belgique, mais travaille jusqu’à présent quasi exclusivement pour les médecins généralistes.

Le KCE a été chargé d’une étude préparatoire à la constitution du plan. Ses premiers résultats sont attendus pour le mois de juin 2017, mais ils ont d’ores et déjà influencé le déroulement et les conclusions de la présente recherche.