Nouveaux anticoagulants oraux : assurément plus chers, mais pas nécessairement plus efficaces.
Les anticoagulants sont des médicaments qui sont prescrits, entre autres, aux personnes atteintes d’un trouble du rythme cardiaque appelé fibrillation auriculaire, pour diminuer leur risque d’accident vasculaire cérébral (AVC). Depuis quelques années, de « nouveaux anticoagulants oraux » ou NOAC sont arrivés sur le marché. Leur usage est plus pratique que celui des « anciens » puisqu’ils ne nécessitent plus de prises de sang de contrôle tous les mois. Mais leur prix est aussi nettement plus élevé : ils représentent pour notre assurance maladie un coût annuel supplémentaire qui avoisine les 100 millions d’euros. Le Centre fédéral d’Expertise des Soins de santé (KCE) a mené une analyse critique des données existantes sur ces médicaments et a découvert que leurs avantages ne sont pas aussi évidents qu’il y paraît. En effet, si leur efficacité est supérieure à celle des anciens médicaments… ce n’est que de quelques dixièmes de pourcents, et à condition qu’ils soient bien utilisés.
Trois problèmes se posent en effet : (1) Parmi les patients sous anticoagulants, certains n’en retirent aucun bénéfice parce que le risque d’AVC que l’on cherche à éviter est à peu près équivalent, chez eux, au risque d’hémorragie dû au traitement. (2) De nombreux patients reçoivent des doses de NOAC réduites, dont nous ne savons pas si elles sont efficaces. (3) Comme les NOAC ne nécessitent plus de prises de sang de contrôle tous les mois, les médecins ne sont plus en mesure de vérifier si leurs patients ont une anticoagulation suffisante. Le KCE appelle donc à la vigilance : il se peut que bon nombre de patients sous NOAC ne soient en réalité pas correctement protégés.
La fibrillation auriculaire, un trouble du rythme cardiaque qui augmente le risque d’AVC
Chez les personnes atteintes de fibrillation auriculaire (FA), il existe un risque que des caillots se forment dans le cœur et soient envoyés, via la circulation sanguine, vers le cerveau. Ces personnes courent donc un risque d’accidents vasculaires cérébraux (AVC, « thromboses »). Pour empêcher la formation de tels caillots, ces personnes doivent souvent recevoir un traitement anticoagulant pendant le reste de leur vie.
Classiquement, le traitement est basé sur les anticoagulants de la classe des antivitamines K (AVK) : Sintrom®, Marevan® ou Marcoumar®. Mais ces médicaments contraignent les patients à faire des prises de sang tous les mois pour surveiller le niveau de coagulation du sang. En effet, en diminuant la coagulation du sang pour prévenir la formation de caillots, on augmente le risque d’hémorragie cérébrale. Il faut donc maintenir le niveau de coagulation à des valeurs intermédiaires entre l’un et l’autre risque.
De nouveaux anticoagulants qui ont un grand succès
Depuis quelques années, une nouvelle famille d’anticoagulants est apparue sur le marché : les « nouveaux anticoagulants oraux » ou NOAC (Novel Oral AntiCoagulants). Ils sont au nombre de quatre : l’Eliquis® (apixaban), le Pradaxa® (dabigatran), le Xarelto® (rivaroxaban) et le Lixiana® (edoxaban). Leur promotion auprès des médecins s’appuie surtout sur le fait qu’ils n’exigent pas la même surveillance intensive que les AVK, ce qui est effectivement un avantage pratique important pour les patients.
En contrepartie, ces médicaments sont beaucoup plus onéreux que les « anciens » AVK. Depuis leur arrivée sur le marché, le budget globalement consacré par l’INAMI aux traitements anticoagulants est passé de 1,6 millions d’euros en 2004 à 95,3 millions en 2015, soit une multiplication par soixante (ce montant ne tient toutefois pas compte des ristournes confidentielles négociées avec les firmes). On s’attend à ce que le montant attribué aux seuls NOAC dépasse bientôt les 100 millions d’euros annuels.
Cette explosion des coûts est due à la fois au prix élevé des NOAC et au fait que le nombre de personnes placées sous traitement anticoagulant a augmenté de façon importante. Le Centre fédéral d’Expertise des Soins de santé (KCE) a analysé ces deux causes d’augmentation pour déterminer dans quelle mesure elles sont scientifiquement justifiées.
Trop de personnes placées sous anticoagulants ?
Le niveau de risque d’une personne en fibrillation auriculaire se mesure par un score de risque appelé CHA2DS2-VASc (prononcer chadsvasc). Quand ce score est égal ou supérieur à 2 (pour les hommes) ou à 3 (pour les femmes), les recommandations internationales conseillent de prescrire un anticoagulant parce que, à partir de ce niveau de risque, le bénéfice de ce traitement ne fait pas de doute par rapport au risque (d’hémorragie cérébrale) qu’il comporte. Par contre, chez les personnes dont le score est de zéro, le risque d’AVC causé par la FA est plus bas que celui d’hémorragie lié au traitement anticoagulant et il ne faut donc pas en prescrire.
Pour les personnes qui ont un score de 1 (hommes) ou 2 (femmes), les recommandations internationales laissent planer un certain flou. Les experts du KCE ont ré-analysé les chiffres des études scientifiques et ils observent que, chez ces patients, le risque d’AVC que l’on cherche à éviter est à peu près équivalent au risque d’hémorragie dû aux anticoagulants. Leur conclusion est donc que ces personnes ne devraient généralement pas recevoir d’anticoagulants, car on ne peut se permettre de les exposer au risque d’hémorragie cérébrale alors que leur risque de thrombose est faible.
Dans la foulée, le KCE émet des doutes sur la probité de certaines recommandations internationales. En effet, on constate que l’industrie pharmaceutique est de plus en plus impliquée dans la rédaction de ces documents, qui servent pourtant de référence aux médecins. De plus, un certain nombre de limitations méthodologiques dans les études cliniques menées sur les NOAC (et sponsorisées par l’industrie) ont encore récemment été dénoncées à grand bruit dans la presse scientifique.
Fort peu de différence en termes d’efficacité
Les NOAC sont indéniablement plus pratiques à l’emploi que les AVK. Mais en termes d’efficacité, une analyse plus critique des résultats des études cliniques montre que les deux classes de médicaments sont équivalentes en termes de prévention des AVC liés à la FA. En ce qui concerne le moindre risque d’hémorragie cérébrale, souvent utilisé comme argument promotionnel en faveur des NOAC, il se chiffre en… dixièmes de pourcents, avec une diminution du risque de 0,2 à 0,3% par an. Et en fin de compte, si l’on additionne le nombre d’AVC que le traitement a permis d’éviter et le nombre d’hémorragies qu’il a causées, on dénombre avec les NOAC – en fonction de la molécule et de la dose – entre 0,1% de plus et 0,6% de moins d’incidents par an qu’avec les AVK. Il s’agit des chiffres « optimistes » obtenus dans les conditions très strictes des études cliniques.
Un certain nombre de problèmes sous-estimés
Le KCE a également mis en évidence qu’une proportion substantielle des patients belges reçoivent, en pratique courante, une dose de NOAC inférieure à celles dont l’efficacité a été démontrée dans les essais cliniques. Or, il n’existe pas de preuves que ces doses réduites protègent aussi efficacement tous ces patients que les AVK.
Ceci pose également un autre problème car, comme il n’y a pas de prises de sang de contrôle, le médecin n’est pas en mesure de vérifier que son patient reçoit une dose efficace. Il se peut donc que bon nombre de patients sous NOAC ne soient en réalité pas suffisamment protégés. De plus, en raison du mode d’action des NOAC, toute interruption (même courte) du traitement peut suffire à faire remonter le risque de thrombose, ce qui n’est pas le cas avec les AVK.
Enfin le KCE souligne que l’on ne connaît pas encore les effets à long terme des NOAC, alors que ce sont des médicaments qui devront théoriquement être prescrits jusqu’à la fin de la vie.
Une hémorragie pour le budget de l’assurance maladie ?
Le KCE conclut que les NOAC peuvent être un bon choix pour les patients chez qui les AVK ne permettent pas d’obtenir des paramètres de coagulation stables, ou pour ceux chez qui des prises de sang régulières posent problème, mais à condition que les médecins les prescrivent à une dose appropriée et que les patients observent scrupuleusement leurs prises quotidiennes ou biquotidiennes.
Mais alors, sur la base de ces avantages finalement assez ténus, les 100 millions d’euros supplémentaires que coûtent chaque année les NOAC à notre assurance maladie sont-ils réellement dépensés à bon escient ?