Comment mieux organiser la prise en charge des traumatismes graves ?
On observe actuellement une tendance internationale à réorganiser les soins aux blessés graves selon un modèle dit de « système intégré ». Dans de tels modèles, les blessés graves sont centralisés dans quelques hôpitaux stratégiquement répartis sur l’ensemble du territoire. Ces « Centres majeurs de traumatologie » répondent à des exigences extrêmement élevées en termes d’équipement, de qualification du personnel et de disponibilité (24h/24 et 7j/7).
Le Centre fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE) a étudié ces exemples étrangers et analysé de quelle manière ils pourraient être transposés à la réalité belge. Il en ressort que notre système présente déjà beaucoup d’atouts, mais qu’il reste quelques lacunes, surtout au niveau de la coordination des différents acteurs. La réforme du paysage hospitalier actuellement en cours offre des opportunités uniques pour optimiser la prise en charge des blessés graves dans notre pays.
Au début de la semaine, l’Institut Belge pour la Sécurité routière (IBSR) a publié des chiffres encourageants sur la baisse de la mortalité directe des accidents de la route dans notre pays. Hasard du calendrier, le KCE publie aujourd’hui son rapport sur la prise en charge des victimes de traumatismes graves, dont environ un tiers provient aussi d’accidents de la circulation. « Notre rapport s’intéresse à la meilleure manière d’organiser la prise en charge des blessés qui ont survécu à un accident et qui ont donc été amenés à l’hôpital dans un état grave » précise Maria Isabel Farfan, experte en analyse des systèmes de santé au KCE et auteur du rapport.
Une tendance internationale vers des « systèmes intégrés »
L’étude du KCE montre que notre système de prise en charge des blessés graves peut compter sur des hôpitaux très bien équipés et des équipes mobile d’urgence (SMUR1) qualifiées. Elle souligne aussi que les temps de transport des blessés sont remarquablement courts : 10 minutes, un chiffre (médian) largement inférieur aux objectifs fixés au niveau international, qui se situent aux alentours de 30 à 45 minutes. Par contre, il y a des déficiences au niveau de l’articulation de tous ces acteurs entre eux.
La coordination entre acteurs, c’est précisément l’essence des « systèmes intégrés de traumatologie » que l’on voit apparaître un peu partout dans le monde et que les chercheurs du KCE ont analysés. Tous les intervenants y opèrent selon des procédures prédéfinies et standardisées (qui peuvent notamment être observées dans certaines séries télévisées médicales américaines ou anglaises bien documentées). L’accent est mis non plus sur des hôpitaux qui exercent isolément, mais sur une chaîne d’acteurs coordonnés : équipes mobiles d’urgence, services hospitaliers et même hôpitaux entre eux. L’objectif est de concentrer les patients gravement blessés dans les hôpitaux où ils trouveront l’expertise la plus adéquate pour la prise en charge complexe qu’ils requièrent.
Une trop grande dispersion des blessés en Belgique
Ceci est très différent de la situation observée chez nous, où les blessés sont acheminés vers l’hôpital « le plus proche ou le plus adéquat », comme l’exige la loi. Étant donné que notre réseau hospitalier est très dense, cela se traduit par une dispersion des patients dans des hôpitaux qui ne sont pas toujours idéalement équipés pour les accueillir. C’est ainsi que, en 2015, environ 3500 victimes de traumatismes graves ayant nécessité une intervention du SMUR2 ont été transportées vers 145 hôpitaux différents ! Or il est impossible de maintenir des équipes ayant les compétences requises et disponibles en permanence dans autant d’hôpitaux.
Des centres majeurs de traumatologie en nombre restreint
Les « systèmes intégrés » fonctionnent sur des bases géographiques et reposent sur un nombre restreint de centres hyperspécialisés appelés Major Trauma Centres (MTC) ou Centres majeurs de traumatologie. Il s’agit d’hôpitaux qui répondent à des critères extrêmement exigeants en termes d’équipements (salles de déchoquage, salles d’opération spécialisées pour la chirurgie traumatologique, services de neurochirurgie et de soins intensifs, banque de sang suffisante pour effectuer des transfusions de masse,…) et de personnel hautement spécialisé, présent sur place 24h/24 et 7j/7 et fonctionnant selon des procédures bien rodées.
La réforme du paysage hospitalier est une opportunité à saisir
Notre paysage hospitalier fait actuellement l’objet d’une profonde réforme, elle aussi basée sur une réorganisation géographique des réseaux de soins. La mise en place d’un système intégré de traumatologie, à l’image de ceux des pays voisins, devrait donc idéalement s’inscrire dans cette réforme et s’aligner sur le nouveau dessin du territoire.
La programmation des futurs MTC devrait se faire en tenant compte des temps de trajet et des spécificités géographiques locales (p.ex. manque de voies rapides), de la population couverte, du volume minimal de patients à traiter et de la disponibilité des équipes mobiles existantes. Les chercheurs du KCE estiment qu’en tenant compte de ces multiples facteurs, un nombre raisonnable serait de 4 à 7 MTC pour tout le territoire.
Possible rapidement, moyennant quelques adaptations
« La mise en place d’un système intégré de traumatologie en Belgique est dès à présent possible moyennant quelques adaptations des fonctionnements actuels », affirment les auteurs du rapport du KCE, qui ont présenté et discuté les recommandations avec les acteurs de terrain.
Parmi les adaptations requises, il est important que toutes les unités d’intervention mobiles adoptent une procédure commune de triage pour l’évaluation de la gravité du traumatisme, car actuellement cette étape essentielle repose souvent, en pratique, sur la seule expérience clinique des sauveteurs. Il faut également établir des règles claires sur le rôle de chaque hôpital MTC et non-MTC et sur les collaborations entre ces différents niveaux.
Récolter des données pour pourvoir évaluer la qualité par la suite
Enfin, last but not least, si l’on veut pouvoir, à l’avenir, évaluer l’efficacité du nouveau système, il faut standardiser et centraliser la collecte de données (sur les circonstances des accidents, l’état des victimes, les traitements administrés, les séjours hospitaliers, la phase de réadaptation, etc.) et mettre en place des procédures d’accréditation répondant à des critères internationalement reconnus.
Ce n’est qu’à ce prix que l’on pourra vérifier si les victimes de traumatismes graves tirent un réel bénéfice de leur prise en charge. Et, ajoute Maria Isabel Farfan, « même si le but premier des systèmes intégrés de traumatologie est de sauver des vies, il faut déjà viser l’étape suivante, qui est de permettre à ces blessés de survivre avec le moins de handicaps possibles, en étendant le système aux centres de réadaptation. »
1. SMUR : Service mobile d’urgence et de réanimation. L’équipe d’un SMUR comporte toujours un médecin urgentiste et un infirmier spécialisé en soins d’urgence, mais le véhicule n’est pas équipé pour transporter les patients. Il se déplace toujours en binôme avec une ambulance pour transporter la victime.
2. Nous parlons ici des interventions quotidiennes et non des situations exceptionnelles de catastrophe telles que celle du 22 mars 2016 pour lesquelles un plan d’intervention médicale (PIM) est mis en place par les autorités.