Faciliter l’accès aux médicaments ‘innovants’ : une procédure d’exception ne doit pas devenir la règle
Le système de « convention article 81 » est une procédure d’accès au remboursement de médicaments qui est parallèle à la procédure classique. On la met en œuvre quand certaines incertitudes autour (notamment) de l’efficacité du médicament persistent encore, mais que l’on souhaite quand même mettre ce médicament à la disposition des patients. Ce système existe depuis 2010 dans notre pays et le Centre fédéral d’Expertise des Soins de santé (KCE) a été chargé d’évaluer son fonctionnement. Il en ressort qu’il est de plus en plus souvent fait appel à cette procédure, mais que ses bénéfices à long terme pour la société peuvent être mis en doute. En effet, de tels accords s’accompagnent généralement de ristournes confidentielles sur le prix du produit en question, ce qui est un avantage évident pour l’assurance maladie. Mais si l’on y recourt de façon excessive, cela mène à une perte de transparence de tout le système. Cela place aussi la barre moins haut pour les firmes pharmaceutiques en ce qui concerne la mise en route de recherches supplémentaires pour prouver l’efficacité de leurs produits.
Un système qui accélère l’accès aux médicaments innovants
Les conventions article 81 sont la version belge des Managed Entry Agreements. Ces accords passés entre une firme pharmaceutique et les autorités d’un pays permettent d’ouvrir un remboursement temporaire pour un nouveau médicament innovant (souvent très coûteux), malgré certaines incertitudes non encore résolues, par exemple concernant son efficacité clinique ou son rapport coût-efficacité.
Le principe est alors que les incertitudes seront levées pendant le temps que court l’accord (généralement 3 ans), via la production de données supplémentaires (études cliniques ou évaluations économiques). Ce type d’accord est le plus souvent lié à une ristourne sur le coût du médicament.
Les conventions art.81 ont été introduites dans notre pays en 2010 et sont de plus en plus souvent utilisées. Début 2017, 74 médicaments bénéficiaient d’un remboursement grâce à ce système. C’est sur une proposition de Test-Santé et de Kom op tegen Kanker que le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) a évalué son fonctionnement.
Une étude rendue difficile par la confidentialité des données
Mener cette étude ne fut pas chose aisée, étant donné que les firmes pharmaceutiques exigent une confidentialité absolue autour du montant des ristournes accordées sur le prix officiel. Un détail qui a son importance quand on sait que les prix des médicaments font l’objet de négociations pays par pays et que cette confidentialité empêche les pays de pouvoir se comparer entre eux.
Cette confidentialité a été coulée dans une loi en juillet 2016. Les chercheurs du KCE ont donc été obligés de limiter leurs investigations aux éléments d’information publiquement disponibles. Ce qui ne les a pas empêchés de mener une analyse critique…
Des données pas toujours à la hauteur des attentes
Au moment de l’étude, 16 conventions étaient déjà arrivées à leur terme et avaient fait l’objet de demandes de renouvellement, qui ont pu être analysées. Parmi les observations surprenantes, on notera que, souvent, ces demandes introduites 3 ou 4 ans après la première soumission ne contenaient toujours pas de réponses aux questions initialement posées. Étant donné la confidentialité des dossiers, il n’a pas été possible de déterminer la cause exacte de cette situation : ceci peut être attribué soit à l’absence de nouvelles données, soit au fait que les résultats des études cliniques ne sont pas (encore) publiés, ou encore que d’autres données collectées pendant la durée de la convention sont gardées confidentielles (mais les résultats d’études cliniques ne peuvent en principe jamais être gardés secrets). À souligner également qu’il n’est pas facile pour un petit pays comme la Belgique d’exiger de firmes multinationales qu’elles produisent des études supplémentaires (voir plus loin).
Bref, à la fin d’une convention, il n’est pas rare que les questions du début restent en suspens et que l’on ne sache toujours pas si cet accès plus rapide a permis aux patients de bénéficier d’un produit réellement plus efficace.
La marche arrière est difficile
Autre constat : une fois que le remboursement est « acquis » via une convention, il est très difficile pour les autorités de revenir en arrière, notamment en raison de la pression de l’opinion publique. Ceci installe un état de fait qui n’encourage pas les firmes à produire un réel effort en vue de fournir les preuves supplémentaires demandées pour lever les incertitudes.
Pour cette raison, le KCE insiste pour que les médecins et les patients soient clairement mis au courant, lorsqu’un médicament qu’ils prescrivent / utilisent fait l’objet d’une convention, des raisons de cette convention, de son caractère temporaire et du risque de retrait du remboursement, par exemple si l’efficacité n’est pas confirmée.
Un système qui renforce l’opacité à l’échelle internationale
La confidentialité qui entoure le prix des médicaments engendre des situations qui n’étaient pas prévues initialement, comme la mise sous convention d’un médicament sans réelle plus-value pour la seule raison que le produit auquel on le compare est également sous convention.
À l’avenir, on peut même craindre que cette situation devienne un obstacle à l’introduction de génériques. En effet, tant que le prix réel du médicament original n’est pas connu, il est impossible pour une firme de génériques de faire des projections sur un prix compétitif pour un générique de cet original. L’opération est donc très hasardeuse.
De plus, la généralisation du système au niveau international risque de pérenniser le véritable problème, à savoir que, grâce à l’avantage à court terme pour le payeur public de cette possibilité de négocier des ristournes de manière confidentielle, les firmes peuvent continuer à afficher des prix publics extrêmement élevés sans que ceux-ci soient justifiés de manière transparente.
Renforcer les collaborations entre pays
La taille réduite du marché belge joue en sa défaveur. Il est tout à fait possible qu’une firme préfère renoncer à commercialiser un nouveau médicament chez nous plutôt que de se lancer dans une étude supplémentaire coûteuse, dont les résultats pourraient être moins favorables qu’espéré.
C’est pourquoi le KCE encourage la mise sur pied de collaborations entre plusieurs pays qui représenteraient ensemble un poids suffisant pour pouvoir exiger la production de données satisfaisantes et pour négocier en commun des prix acceptables. La collaboration BeNeLux-Autriche en matière de politique du médicament est un premier pas prometteur dans cette direction (voir Rapport KCE 283 publié le 20 avril dernier).
Ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain
Il ne faudrait pas pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain : le système des conventions art. 81 peut réellement ouvrir plus rapidement l’accès à des médicaments innovants, ce qui est un atout majeur pour les patients. Simplement, en plus de miser sur la rapidité d’accès, il faudrait mettre davantage l’accent sur le bénéfice pour le patient et sur la soutenabilité à long terme pour l’assurance maladie. Le KCE formule donc une série de recommandations techniques en vue de rendre le processus plus transparent et plus équilibré.
De façon générale, la conclusion d’une convention devrait rester une exception. Elle ne devrait jamais être possible pour les médicaments sans réelle plus-value thérapeutique et/ou pour ceux pour lesquels il existe déjà des alternatives qui ne sont pas sous convention.
Les chercheurs du KCE insistent également pour que les incertitudes décelées dans un dossier soient clairement caractérisées dès le départ, de manière à identifier si la conclusion d’une convention permettra de les lever. Ils ont conçu une grille pratique qui permet de choisir, pour chaque nouvelle demande, quel type de convention est le plus approprié pour répondre aux incertitudes identifiées.