La lecture du génome complet est à nos portes. Comment l’intégrer dans nos soins de santé ?
Les analyses génétiques « classiques » ne portent que sur certains gènes bien ciblés, mais comme les technologies avancent et que les prix baissent, il deviendra bientôt plus intéressant de déchiffrer l’entièreté du génome d’un individu. Quitte à devoir gérer des informations très sensibles… que l’on n’avait pas demandé à connaître. Ou que l’on n’est pas encore capable d’interpréter correctement. Cette (r)évolution annoncée soulève de nombreuses questions. Pas seulement sur le plan éthique, mais aussi financier et organisationnel. Comment intégrer cette avancée technologique dans les soins de santé belges ? Qui pourra demander ces analyses, les réaliser, en interpréter les résultats et les communiquer au patient ? Comment les financera-t-on ? Comment organisera-t-on la gestion et la sécurité des gigabytes de résultats qui en résulteront ? Le Centre fédéral d’Expertise des Soins de santé (KCE) a été chargé d’examiner ces différentes questions.
Il n’aura échappé à personne que la génétique prend de plus en plus de place dans la médecine depuis le début des années 2000. Mais il faut à présent se préparer à une nouvelle révolution dans ce domaine. En effet, jusqu’à présent, la plupart des analyses génétiques portent sur un ou quelques gènes bien précis, que l’on recherche spécifiquement dans l’ADN d’un patient. Désormais, les analyses dites « de génome entier » (Whole Genome Sequencing – WGS) permettent de lire l’ensemble des gènes sur un seul échantillon, à un prix qui concurrence déjà celui de certaines analyses génétiques classiques. C’est une révolution technique avant tout donc, mais elle ne va pas sans poser de nombreuses questions tant éthiques que logistiques et organisationnelles. Le KCE a été chargé de réfléchir à l’intégration de cette avancée technologique dans les soins de santé belges.
20.000 gènes d’un seul coup
Jusqu’à présent, une analyse génétique cherchait le plus souvent à répondre à une question précise : tel gène est-il porteur d’une anomalie qui peut expliquer les symptômes du patient (p.ex. en cas de mucoviscidose) ou qui place ce patient devant un risque important de développer telle maladie précise (p.ex. le gène BRCA1/2 prédisposant au cancer du sein) ? Avec le WGS, la question se posera différemment : en recevant le déroulé in extenso de tous les gènes de son patient, le généticien pourra probablement y trouver la réponse à sa question, mais il aura également sous les yeux l’ensemble des anomalies génétiques dont son patient (comme chacun de nous) est inévitablement porteur. Autrement dit, des réponses à des questions qu’il n’a pas posées. Voire des réponses dont il ignore la signification.
Tout savoir ?
Nous sommes en effet très, très loin de connaître la signification de chacun de nos 20.000 gènes et de leurs innombrables variantes. Que faire de ces informations inattendues ? Faut-il révéler au patient, par exemple, qu’il risque de développer une maladie grave dans le futur ? On considère généralement que s’il s’agit d’une maladie pour laquelle il existe des mesures préventives (p.ex. une prédisposition aux maladies cardiovasculaires), la réponse est oui, mais qu’il est par contre préférable de s’abstenir en cas de maladie contre laquelle on ne dispose pas de prévention ou de traitements efficaces.
On admet par ailleurs que la décision de communiquer ou pas ce genre d’information doit être prise avant d’effectuer les analyses, de commun accord entre le médecin et le patient, au cours d’une procédure approfondie et explicite de consentement éclairé. Le KCE recommande de mettre au point une politique commune à tous les centres de génétique pour la gestion des résultats « imprévus » et les procédures de consentement éclairé.
Le conseil génétique
Transmettre les résultats au patient de façon claire, en répondant à toutes ses questions et en lui prodiguant le soutien psychologique et social éventuellement nécessaire est aussi une tâche qui requiert des compétences spécifiques. Actuellement, en Belgique, seuls les médecins généticiens sont habilités à le faire, avec le soutien de psychologues et d’assistants sociaux. Mais ils risquent d’être rapidement débordés à cause de la quantité croissante d’informations à communiquer à leurs patients (et aux familles). Dans d’autres pays, une partie de cette tâche de conseil génétique est
déléguée à des « conseillers en génétique » non médecins. Un groupe de travail avait été réuni en 2016 à la demande de la Ministre de la Santé à ce sujet et il avait conclu que cette nouvelle profession devait figurer dans la nouvelle Loi relative à l'exercice des professions des soins de santé.
Cela ne semble plus être à l’ordre du jour.
On demande des bio-informaticiens
Une autre facette du problème est l’analyse et la gestion des données, qui sont délivrées sous forme brute » et qui doivent subir une série de manipulations informatiques avant de pouvoir être « lues » et interprétées par les cliniciens. L’ensemble de ces opérations nécessite des outils informatiques extrêmement complexes et … suffisamment de bio-informaticiens pour développer les outils sophistiqués qui seront employés. Ces professionnels hautement qualifiés sont déjà très recherchés aujourd’hui, et la demande va encore croître. Il est temps de prévoir pour eux des filières de formation spécifiques et de leur offrir un statut légal et barémique susceptible de les retenir dans notre pays.
Le volume de données brutes générées par le WGS est considérable (entre 100 et 500 Gb par échantillon). Il est donc également nécessaire de prévoir d’énormes capacités de stockage et de se poser la question des modalités de conservation de ces données, notamment sur le plan de leur sécurité. Il faut ajouter à cela que l’introduction du WGS à large échelle donnera probablement un coup d’accélérateur à l’identification de nouveaux variants de gènes, et aux connaissances en génétique en général. Afin que tous les chercheurs et médecins puissent utiliser ces connaissances, il sera essentiel de constituer une base de données centralisée de tous les variants, au niveau belge bien sûr, mais aussi au niveau international. Ici aussi, la sécurité d’accès à ces bases de données devra être hautement sécurisée.
Les questions d’organisation
Les progrès en génétique sont tels qu’un nombre croissant de disciplines médicales sont concernées. Ainsi par exemple, les cardiologues ou les neurologues auront de plus en plus recours à des analyses WGS, sans parler de tout ce qui entoure les tests prénatals. Une des questions qui se posent dès lors est de savoir si ces analyses doivent rester une exclusivité des centres de génétique ou si elles peuvent être réalisées par d’autres acteurs. Une autre question est celle de la sous-traitance de ces analyses à des firmes privées internationales, une solution a priori moins coûteuse déjà utilisée par les Pays-Bas ; elle n’est toutefois pas dénuée de risques liés à une certaine forme de perte de contrôle sur la qualité, la confidentialité, la protection des données, etc.
Commencer par un projet pilote
On le voit, l’arrivée du WGS dans les soins de santé soulève des interrogations nombreuses et complexes. C’est pourquoi le KCE recommande d’avancer sur ce terrain avec la plus grande prudence, d’autant plus que les enjeux financiers et éthiques sont considérables. Un projet pilote permettrait d’aborder les problèmes un par un avec les acteurs concernés, de tester – et de chiffrer ! – différentes solutions avant de prendre les décisions définitives qui engageront notre pays sur la voie de cette technologie résolument futuriste.