La protonthérapie pour traiter les cancers des enfants: un regrettable manque d’études sur l’efficacité et les effets secondaires à long terme
La protonthérapie, une technique de radiothérapie ultra-précise, offre-t-elle plus d’avantages que la radiothérapie classique lorsqu’il s’agit de traiter des enfants ? Elle permet en effet de délivrer une dose de rayons moins élevée aux tissus entourant la tumeur, ce qui devrait diminuer le risque de nouveaux cancers et autres effets secondaires de l’irradiation. L’INAMI a demandé au Centre fédéral d’Expertise des Soins de santé (KCE) de s’assurer que la technique donne de bons résultats chez les enfants. La question est d’actualité en Belgique, avec l’annonce, au début de cette année, de la construction des premiers centres de protonthérapie. Mais c’est aussi une question à laquelle il est quasi impossible de répondre parce que, malgré des milliers d’enfants traités dans le monde, l’application de cette technique aux cancers pédiatriques n’a fait l’objet d’aucune étude clinique internationale de qualité. Le KCE doit donc conclure que la valeur ajoutée de la protonthérapie n’est pas encore établie dans le traitement des cancers pédiatriques.
La protonthérapie, une forme d’hadronthérapie, est une technique de radiothérapie utilisée dans le traitement du cancer. Elle consiste à envoyer des protons sur les tumeurs avec une très grande précision. Son principal avantage est d’éviter l’irradiation des tissus avoisinants et du reste de l’organisme; de ce fait, le risque de nouveaux cancers et autres effets secondaires des rayons est moins élevé qu’avec la radiothérapie classique. Cette technique nécessite des équipements technologiques très pointus et une équipe de haut niveau comprenant non seulement des médecins et du personnel infirmier spécialement formés, mais aussi des physiciens, des ingénieurs et des informaticiens. Le prix d’un nouveau centre de protonthérapie représente au bas mot 30 millions d’euros, et les frais de fonctionnement annuels sont plus importants que ceux de la radiothérapie classique.
Il n’y a aucun centre de protonthérapie en Belgique à l’heure actuelle. Les patients belges qui doivent recevoir ce type de traitement sont envoyés à l’étranger. Depuis septembre 2014, le coût du traitement, ainsi que les frais de déplacement et de séjour, sont pris en charge via un budget de € 3,6 millions par an spécialement prévu à cet effet. En 2007, le KCE avait estimé qu’avec un maximum de 100 patients belges par an entrant en ligne de compte pour ce traitement, la construction d’un centre de protonthérapie ne se justifiait pas dans notre pays. Pourtant, au début de cette année, la construction de deux centres de protonthérapie a été annoncée : un à Leuven et un à Charleroi.
Une estimation de 37 enfants et 14 adolescents chaque année
Depuis 1954, plus de 120.000 patients ont été traités par protonthérapie dans le monde. Il s’agit essentiellement d’adultes, mais le nombre d’enfants est en augmentation. Il n’existe pas de statistiques belges ou européennes à ce sujet, mais sur base des chiffres du Registre du Cancer (2004-2011), on estime qu’en moyenne 37 enfants (0-14 ans) et 14 adolescents (15-19 ans) seraient concernés en Belgique chaque année.
Dans toute radiothérapie, il est important de protéger le plus possible les tissus entourant la tumeur, de manière à éviter de provoquer des effets secondaires tels que des problèmes de croissance et de développement, ou l’apparition de nouveaux cancers. C’est particulièrement vrai pour les enfants, très sensibles parce que toujours en plein développement. Grâce à sa plus grande précision et à la meilleure répartition de l’énergie délivrée, la protonthérapie permet d’épargner davantage les tissus avoisinants et le reste du corps. C’est pourquoi il semble qu’elle soit préférable à la radiothérapie classique pour le traitement de certains cancers chez les enfants. Mais les études cliniques confirment-elles cette hypothèse ? Les avantages théoriques se traduisent-ils en résultats concrets ?
Une efficacité non démontrée et des effets à long terme non investigués
Les chercheurs n’ont trouvé dans la littérature scientifique internationale aucune étude clinique de bonne qualité indiquant que la protonthérapie appliquée aux enfants donne de meilleurs résultats et provoque moins d’effets secondaires que la radiothérapie classique. Cette lacune s’explique en partie par la rareté des cancers concernés et par le fait qu’il est difficile de réunir un nombre suffisant de jeunes patients pour des études cliniques. De plus, les cancers secondaires prennent au minimum cinq à dix ans pour se développer et la plupart des enfants ne sont pas suivis suffisamment longtemps. Une difficulté supplémentaire est qu’après leur protonthérapie, ces enfants retournent en général se faire soigner dans l’équipe qui les avait pris en charge au départ.
En outre, la protonthérapie connaît, en pratique, quelques limitations techniques. Certaines formes de protonthérapie peuvent également entraîner des irradiations néfastes en libérant des neutrons, eux aussi responsables de cancers.
Il faut donc être très prudent avant d’affirmer que la protonthérapie est la technique de choix pour les cancers pédiatriques. Les parents des enfants atteints de cancer doivent être correctement informés de ces incertitudes. Le KCE souligne par ailleurs le besoin urgent de réaliser davantage de recherches de bonne qualité, de préférence d’envergure internationale.
Pour une centralisation des soins dans des centres spécialisés et un enregistrement des données
Le traitement des enfants exige des compétences spécifiques et des précautions particulières. Par exemple, une anesthésie générale est souvent nécessaire pour éviter qu’ils ne bougent pendant la séance d’irradiation. C’est pourquoi, ils devraient être traités dans des centres disposant de l’expertise requise et participant à des études cliniques à long terme.
L’enregistrement des traitements par le Registre du Cancer devrait être une condition du remboursement de la protonthérapie. Cela permettrait notamment de surveiller les patients à long terme et de documenter l’apparition éventuelle de nouveaux cancers ou d’autres effets secondaires. Par ailleurs, notre pays doit également soutenir le lancement d’un Registre européen qui détiendrait les données (anonymisées) des patients.