04 avr 2019 07:54

L’usage prudent des antibiotiques doit être encouragé aussi bien chez les humains que chez les animaux

L’usage inapproprié des antibiotiques rend les bactéries de plus en plus résistantes, avec pour conséquences des maladies qui durent plus longtemps, des hospitalisations plus fréquentes et des décès. En Belgique, nous utilisons plus d’antibiotiques que la moyenne européenne dans les soins ambulatoires (surtout en médecine générale), dans les maisons de repos et dans l’élevage d’animaux destinés à la consommation. À la demande du SPF Santé publique, le Centre fédéral d’Expertise des Soins de santé (KCE) a cherché à comprendre les raisons de cette situation et a formulé 21 recommandations pour l’améliorer. Le KCE plaide notamment pour le développement d’un Plan d’action ‘One Health’ de lutte contre la résistance aux antibiotiques, qui implique aussi bien la médecine humaine que vétérinaire. Ce travail a été mené en concertation avec des experts et des porteurs d’intérêt des deux secteurs.

La résistance aux antibiotiques continue à augmenter

Nous devons beaucoup aux antibiotiques. Depuis la découverte de la pénicilline en 1928, ces médicaments ont sauvé un très grand nombre de vies et rendu possibles des opérations chirurgicales complexes. Mais leur utilisation inappropriée, chez les humains comme chez les animaux, a mené à une résistance croissante des bactéries, à tel point que tous ces bénéfices risquent d’être anéantis. Selon l'OCDE, ce problème provoquera en moyenne 33 000 décès par an entre 2015 et 2050 dans l'Union européenne, dont 533 en Belgique. Le nombre de jours d'hospitalisation supplémentaires et les coûts de soins de santé augmenteront également de façon considérable.

Une approche « One Health » est nécessaire

Pour lutter contre ce problème de résistance, l'usage prudent des antibiotiques est une priorité. Et parce que la santé humaine, animale et environnementale sont intimement liées, il faut que cette lutte se fasse selon une approche « One Health », où les différents secteurs coopèrent.

En 1999, la Commission belge de coordination de la politique en matière d’antibiotiques (BAPCOC) a été créée en réaction à la consommation élevée d’antibiotiques. C’était une des premières organisations de ce type en Europe. La BAPCOC a lancé nombre d'initiatives au cours des 20 dernières années, en particulier dans le secteur hospitalier. Certaines de ces initiatives ont eu un impact bénéfique sur l'utilisation des antibiotiques, mais plus aucun progrès n’a été enregistré ces dernières années dans le secteur humain. La consommation ne diminue plus.

La Belgique parmi les plus gros prescripteurs d’Europe

En 2017, la Belgique occupait la 9e place parmi les plus gros prescripteurs d’antibiotiques d’Europe pour les soins ambulatoires (voir le graphique). Parmi les principaux prescripteurs, on trouve les médecins généralistes, suivis de loin par les dentistes et les dermatologues. Les personnes âgées en maisons de repos et de soins reçoivent également plus d'antibiotiques chez nous que dans le reste de l'Europe. Le secteur hospitalier s’en sort mieux, en restant juste en dessous de la moyenne européenne.

Dans le secteur de la santé animale, même si l'utilisation d'antibiotiques a diminué ces dernières années, des améliorations sont encore possibles : en 2016, les vétérinaires belges ont vendu plus d'antibiotiques que la moyenne européenne.

Consommation des antibiotiques dans le secteur ambulatoire (humain) en Europe (2017)

*: Les données pour Chypre et la Roumanie comprennent aussi la consommation en milieu hospitalier
Source: European Centre for Disease Prevention and Control, site web interactif ESAC-Net, 2019

Pourquoi une consommation si élevée?

Pourquoi consommons-nous tant d’antibiotiques ? Au niveau des prescriptions individuelles – du médecin comme  du vétérinaire – différentes raisons sont évoquées, comme la nécessité d’agir vite, le désir d’éviter les situations d’incertitude et la demande du patient ou du propriétaire de l'animal. Dans les hôpitaux, où le risque de résistance est le plus élevé, des « groupes de gestion de l’antibiothérapie » ont été mis en place. Ils sont obligatoires mais ne reçoivent souvent que peu de soutien, ce qui limite leur impact.

Dans le secteur agricole, la consommation élevée d'antibiotiques est notamment une conséquence de l'industrialisation de l'élevage. Pour des raisons de productivité, les animaux sont souvent séparés très tôt de la mère et vivent très confinés, proches les uns des autres. Les éleveurs et les vétérinaires ont donc souvent recours aux antibiotiques pour éviter tout risque de maladie et de contamination, parce que toute maladie est synonyme de perte économique pour l’éleveur.

Une situation complexe

Outre la BAPCOC, qui relève du Service public fédéral (SPF) Santé publique, d'autres organismes luttent également contre la résistance aux antibiotiques aux niveaux fédéral et régional. Cela donne une situation complexe et sans grande concertation structurelle. En conséquence, l’approche « One Health » en est restée à ses balbutiements. Il est grand temps que les secteurs de la santé humaine, de la santé animale et de l'environnement s’attellent ensemble à une politique commune de lutte contre la résistance aux antimicrobiens.

Lancer un plan d’action "One Health"

Le KCE a analysé la littérature scientifique (inter) nationale ainsi que les données de remboursement des antibiotiques par l’INAMI. De très nombreux experts et porteurs d’intérêts ont été consultés dans les différents domaines concernés. Sur cette base, 21 recommandations ont été formulées dans l’espoir d’améliorer la situation actuelle.

La première de ces recommandations est de lancer un plan d’action "One Health" contre la résistance aux antimicrobiens. Ce plan d’action doit impliquer tous les acteurs concernés : les autorités fédérales et régionales, les professions médicales et vétérinaires, les institutions de recherche et les universités, les organisations agricoles, les industries alimentaires et pharmaceutiques. Le plan doit également s’intégrer aux initiatives européennes et internationales pour les questions dépassant le cadre strictement belge.

Mieux gérer les antibiotiques et favoriser le bien-être animal

D'autres recommandations concernent, entre autres, le renforcement de la gestion des antibiotiques dans les hôpitaux et son développement dans les soins ambulatoires et les maisons de repos pour les personnes âgées. Il faudrait également autoriser les pharmaciens à vendre le nombre exact de comprimés d’antibiotiques nécessaires à la cure prescrite. Cela permettrait d’éviter les « fonds de boîte », ce qui diminuerait les risques d’automédication et de pollution de l’environnement.  

Le rôle consultatif des vétérinaires devrait être renforcé dans les élevages et les éleveurs devraient être sensibilisés au bien-être animal et à la biosécurité, qui ne sont pas nécessairement incompatibles avec la productivité (des études scientifiques le prouvent). Enfin, l'utilisation d’antibiotiques chez les animaux de compagnie mérite également une plus grande attention : pour le moment, il existe peu de données à ce sujet, et pourtant nous savons qu'ils peuvent également transmettre des bactéries résistantes à leurs propriétaires, et inversement.