Qui cherche trouve : deux fois plus de cancers de la thyroïde à Bruxelles et en Wallonie liés à un recours plus intensif à l’imagerie médicale et aux interventions sur la thyroïde ?
L’incidence des cancers de la thyroïde est deux fois plus élevée en Wallonie et à Bruxelles qu’en Flandre. La Ministre de la Santé Publique a demandé à l’Institut Scientifique de Santé Publique (ISP) et au Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) d’analyser cette variabilité géographique, en collaboration avec la Fondation Registre du Cancer (BCR). En avril 2012, l’ISP a conclu que vivre aux alentours d’installations nucléaires n’augmentait pas le risque de développer un cancer de la thyroïde. Le KCE a, pour sa part, observé qu’à Bruxelles et plus particulièrement en Wallonie, plus d’examens d’imagerie médicale et d’interventions chirurgicales sont réalisés pour le diagnostic et le traitement des pathologies de la thyroïde. Ce recours intensif augmente les chances de découvrir de manière fortuite un cancer de la thyroïde à un stade de développement précoce. Cela pourrait justifier les différences d’incidence observées entre régions mais une étude approfondie reste nécessaire pour confirmer cette conclusion. Le KCE plaide pour l’amélioration du suivi des recommandations internationales dans la prise en charge des pathologies thyroïdiennes. Cela contribuerait à réduire fortement les différences régionales et conduirait à une utilisation plus fréquente des procédures pré-opératoires recommandées.
Le nombre de cas augmente mais la survie s’améliore
Depuis le début des années ’70, les taux d’incidence du cancer de la thyroïde sont en augmentation en Belgique comme dans de très nombreux pays. Selon le Registre du Cancer, près de 660 nouveaux cas de cancer de la thyroïde sont enregistrés chaque année en Belgique. Taux qui peut être qualifié d’intermédiaire en comparaison avec les autres pays européens pour un cancer qui reste relativement rare. A titre de comparaison : en Belgique chaque année près de 9.500 nouveaux cas de cancer du sein sont diagnostiqués chez les femmes. Grâce à un dépistage précoce et aussi parce que l’augmentation concerne principalement les tumeurs papillaires de bon pronostic, la survie globale s’améliore : sur 100 patients diagnostiqués avec un cancer de la thyroïde, 91 seront encore en vie après 5 ans.
Cancer de la thyroïde autour des sites nucléaires
L’ISP a analysé la situation de l’incidence du cancer de la thyroïde autour des sites nucléaires. Les résultats ont révélé qu’à proximité des centrales de Tihange et de Doel, le nombre de nouveaux cas de cancers de la thyroïde n’est pas plus élevé que la moyenne. Aux environs des sites de Mol-Dessel et Fleurus, le nombre de cas de cancer de la thyroïde est légèrement plus élevé qu’en dehors de cette zone. Cependant, ce cas de figure n’est pas exceptionnel en Belgique. Autour de la centrale française de Chooz, à proximité de la frontière franco-belge, il n’a pas été possible de tirer des conclusions scientifiques probantes.
Les différences régionales sont-elles liées à un dépistage plus intensif de (très) petites tumeurs ?
Le KCE et le BCR ont approché la question sous un tout autre angle. Se pourrait-il que, dans certaines parties du pays, on trouve davantage de cancers de la thyroïde en raison du fait qu’ils seraient dépistés de manière plus intensive ? Le nombre plus élevé de cancers en Wallonie et à Bruxelles serait dès lors davantage lié à une utilisation plus fréquente des tests diagnostiques et des interventions chirurgicales, plutôt qu’à une incidence plus élevée du cancer dans la population. D’ailleurs, le nombre plus élevé de cancers observé en Wallonie et à Bruxelles est presque entièrement attribuable à un plus grand nombre de tumeurs de très petite taille. En revanche, la fréquence des tumeurs de grande taille et à un stade plus avancé et la mortalité liée au cancer de la thyroïde sont pratiquement identiques pour l’ensemble du pays.
Les examens d’imagerie médicale tels que l’imagerie par résonance magnétique (IRM), le PET-scan et l’échographie du cou ou des carotides, sont des examens très sensibles, capables de dévoiler de manière fortuite la présence d’une petite tumeur sur la thyroïde. Le KCE a constaté qu’à Bruxelles et en Wallonie, de tels examens sont 30 à 40% plus fréquents qu'en Flandre.
Il existe aussi des différences régionales dans la prise en charge de maladies telles que la thyrotoxicose et les nodules thyroïdiens. La thyrotoxicose se traduit par une élévation du taux d’hormones thyroïdiennes dans le sang, ce qui peut causer des maladies graves, comme par exemple, la fibrillation cardiaque. La plupart des patients sont traités avec des médicaments antithyroïdiens ou de l'iode radioactif. Les autres patients sont traités par chirurgie (ablation totale ou partielle de la thyroïde). Cette intervention chirurgicale est plus fréquente en Wallonie et à Bruxelles. Du fait que ces interventions sont toujours suivies d’un examen minutieux de l’organe opéré, la probabilité de détection des cellules cancéreuses est, par conséquent, aussi plus élevée.
Le recours à la chirurgie pour le traitement de nodules thyroïdiens est, ici encore, plus fréquent en Wallonie. Les chercheurs ont également constaté que le prélèvement de cellules de la glande thyroïde grâce à une fine aiguille pour affiner le diagnostic avant l’intervention chirurgicale, était sous-utilisé en Belgique, et ce, dans les trois régions. Cette technique est pourtant reconnue actuellement comme la meilleure méthode d’évaluation, même si elle n’est pas parfaite. Elle permet d’éviter les chirurgies inutiles tout en orientant adéquatement les patients ayant une tumeur vers la chirurgie.
Risque de sur-diagnostic et de sur-traitement
Il y a donc une forte probabilité que les différences régionales soient liées à une utilisation différente des techniques de diagnostic et de traitement. Néanmoins, une étude plus approfondie reste nécessaire, de façon à différencier l’impact d’autres facteurs tels que le type de médecins et d’hôpitaux qui traitent les patients.
La détection précoce de petites tumeurs n'est pas nécessairement un avantage pour le patient. Le risque de sur-diagnostic et de sur-traitement est réel : de nombreuses tumeurs, détectées à un stade précoce, ne se seraient probablement jamais développées et n’auraient pas nécessité de traitement. L'augmentation des cas de cancer de la thyroïde n'est d’ailleurs pas corrélée avec une augmentation du nombre de décès. Mais leur prise en charge entraîne des traitements lourds et affecte la qualité de vie du patient.
Améliorer la diffusion et le suivi des recommandations de bonne pratique
Ces différences régionales, dans certains cas non justifiées, doivent être évitées. Notamment par une diffusion des recommandations internationales pour la prise en charge des maladies thyroïdiennes, par un recours plus fréquent aux méthodes reconnues d’évaluation pré-opératoire, et par un suivi de ces recommandations.