Prévenir le syndrome post-soins intensifs
Le syndrome post-soins intensifs est une entité relativement récente qui suscite de plus en plus l’attention des médecins. Il peut se manifester – chez jusque 40 % des patients qui ont fait un séjour prolongé en unité de soins intensifs ¬– par une faiblesse musculaire intense et persistante, des troubles cognitifs (de la mémoire, de l’attention, etc.) ou des problèmes psychologiques (angoisse, dépression, stress post-traumatique). Certaines mesures de prévention de ce syndrome sont décrites dans la littérature scientifique. Elles impliquent parfois des remises en question fondamentales des pratiques et habitudes au sein des unités de soins intensifs. Mais elles requièrent surtout du renfort en personnel. Le Centre fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE) a passé en revue ces mesures pour ne retenir que celles qui ont vraiment fait leurs preuves.
Le syndrome post-soins intensifs ou PICS (Post-intensive Care Syndrome) est en quelque sorte le revers de la médaille des progrès en médecine intensive. Cette discipline à qui tant de patients doivent la vie a en effet connu des avancées remarquables depuis le milieu du 20e siècle. Mais au début du 21e siècle, les médecins ont commencé à comprendre qu’elle pouvait aussi avoir des conséquences négatives sur la qualité de vie des personnes qu’elle permettait de sauver. En effet, après un séjour prolongé aux soins intensifs, il n’est pas rare que le patient garde des séquelles, parfois dues à la cause de l’hospitalisation (maladie grave, accident…), mais parfois aussi à certains traitements mis en œuvre – insistons ! – pour les soigner.
Un ensemble de symptômes
Ainsi, l’immobilisation de longue durée, la ventilation mécanique (respirateur) et l’administration prolongée de sédatifs puissants peuvent participer au développement d’un état persistant de faiblesse musculaire extrême, de problèmes cognitifs (troubles de mémoire, de concentration ou d’exécution des activités de la vie quotidienne) et/ou de séquelles psychologiques (anxiété, dépression ou stress post-traumatique). Les proches peuvent eux aussi garder des traces de ce vécu traumatisant sous la forme de stress post-traumatique ou de dépression. C’est l’ensemble de ces séquelles, parfois graves et invalidantes, qui sont regroupées sous le terme « syndrome post-soins intensifs ».
Un premier rapport du KCE en 2020
Officiellement reconnu depuis 2012, le PICS a été largement mis en lumière lors de la crise du Covid-19, qui a mené de nombreuses personnes dans les unités de soins intensifs. Le KCE y avait d’ailleurs consacré un premier rapport en 2020, destiné à alerter les médecins et à les aider à détecter rapidement les signes de PICS chez leurs patients grâce à un ensemble de six tests validés, rapides et faciles à réaliser en cabinet de médecine générale. Le rapport publié aujourd’hui évalue les mesures de prévention du PICS documentées dans la littérature scientifique. Il s’adresse donc principalement aux services de soins intensifs pour leur permettre d’agir de manière préventive.
Mesures préventives
Dans les grandes lignes, ces mesures préventives suivent cinq grands principes. Le premier est la gestion de la douleur, qui est ressentie par la plupart des patients en soins intensifs, même s’ils sont inconscients. En effet, la douleur est un puissant facteur de risque de développer des symptômes de stress post-traumatique par la suite. Ensuite, il est conseillé de diminuer autant que possible la durée de la ventilation mécanique, ce qui va de pair avec le maintien d’une sédation aussi légère que possible. Il faut donc tenter régulièrement de réveiller le patient et de le sevrer du respirateur (favoriser sa respiration spontanée) dès que ses capacités respiratoires le permettent. Il faut également prévenir le delirium (un état de confusion fréquent chez les patients en soins intensifs), ce qui se fait essentiellement par des mesures destinées à maintenir le patient en contact avec la réalité : maintien des cycles jour-nuit (p. ex. en favorisant la lumière du jour dans le service), qualité du sommeil (p. ex. en réduisant les lumières et le bruit pendant la nuit), amélioration du confort et – last but not least – en favorisant des interactions régulières avec les proches. Enfin, il semble important de mobiliser le patient dès que possible, car cela pourrait contribuer au maintien de sa force musculaire et de ses capacités fonctionnelles. Cela va de la mobilisation passive dans le lit, aux exercices actifs (p. ex. avec un pédalier de lit) et même à la marche active au sein du service dès que l’état clinique le permet.
Impliquer les proches
À ces principes centrés sur le patient, il faut ajouter le rôle fondamental des proches. Faciliter les contacts entre un patient hospitalisé et sa famille semble bénéfique pour tout le monde en termes de prévention du PICS. C’est pourquoi il est recommandé de favoriser les visites (p. ex. en élargissant les heures de visites, en prévoyant des possibilités de contacts virtuels lorsque les visites ne sont pas possibles…) et de maintenir avec les familles une communication claire, ouverte et soutenante. Ces mesures sont à la fois bénéfiques pour le patient et pour les proches, eux aussi à risque de PICS.
Des mesures qui nécessitent encore plus de personnel
Toutes ces mesures sont déjà mises en œuvre, en tout ou en partie, par certaines équipes de soins intensifs en Belgique, mais elles sont encore loin d’être généralisées. Il faut reconnaître qu’elles requièrent des ressources importantes en personnel, en particulier un renforcement du nombre d’infirmiers et de kinésithérapeutes. Par ailleurs, des éléments tels que la qualité du leadership, la communication et la coordination entre les soignants, et la stabilité du personnel revêtent aussi ici toute leur importance, car ce sont les clés pour créer une véritable motivation au changement dans la « culture » et les habitudes au sein des services de soins intensifs.